Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/353

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En effet, attends donc… mais oui… c’est ça… nous nous sommes vus dans une occasion qu’il est, sacrebleu ! bien difficile d’oublier… vu qu’elle est unique !

— L’an passé, — reprend Castillon, — au 2 septembre ?

— À la prison de la Force !…

— Lorsque nous la purgions des aristocrates !

— Oui, mais en tout bien tout honneur, — reprend le canonnier, — à preuve que toi et moi nous avons voulu empêcher des forcenés de déshonorer la justice du peuple en se livrant à des cruautés contre des prisonniers… « Mais, tonnerre de Dieu… citoyens, — criais-je à ces enragés, — mettre à mort au nom du peuple les conspirateurs, les faux monnayeurs, les assassins des prisons avant notre départ pour la frontière, c’est un devoir… les faire souffrir, c’est une barbarie ! »

— Et ces enragés n’ont pas voulu t’écouter… ils ont manqué t’assommer…

— Je l’étais sans ton aide, mon cadet ! car, pensant comme moi au sujet de la purge, tu es venu à mon secours et tu m’as dégagé, — répond le canonnier. — Je te reconnais bien, tu avais un tablier de cuir.

— Vu mon état de serrurier… et toi tu portais une houppelande, un chapeau ciré et un sabre de cavalerie au côté.

— Ancien canonnier avant 89, j’étais devenu cocher de fiacre à mon compte, et je partais le même jour pour la frontière avec mes deux bêtes, Rouget et Gris-Gris, dont je faisais hommage à la patrie.

— Camarade, tu te nommes Jacques Duchemin [1], — dit le capitaine Martin au canonnier en lui tendant la main. — J’ai entendu prononcer ton nom à l’Assemblée nationale parmi ceux des donataires à la patrie ; j’ai admiré ton dévouement… Tu offrais tout ce

  1. Voir le Moniteur du 3 septembre 1792, déjà cité.