Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/363

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à qui, malgré sa félonie, j’ai sauvé la vie l’an passé !!

— Ton compte ne sera pas long à régler, vieux drôle, — avait dit au jésuite le capitaine Martin en réunissant les débris de la dépêche. — Tu vas être conduit au quartier général et naturellement fusillé comme espion… après interrogatoire préalable… bien entendu… Il faut à tout… des formes !

Le jésuite, impassible, ne parut pas entendre cette menace et répondit d’un placide sourire, dans un idiome improvisé par lui pour la circonstance :

Bri-marest o blou Bop !

— Que ne disais-tu cela plus tôt ! — reprit le capitaine Martin devinant bientôt la ruse linguistique du révérend.

Rama to schlik ! — reprend le jésuite avec l’accent impatienté d’un homme innocent, trouvant étrange qu’on l’arrête en son chemin, et il répète en frappant du pied : — Rama to schlik !

— Oui, oui, Rama to schlik ! c’est clair comme le jour… Donc, tu seras pendu ! — ajoute le capitaine Martin ; puis, s’adressant au petit Rodin, non moins imperturbable que son doux parrain : — Tu commences jeune un joli métier, petit brigandeau ; l’aplomb, la présence d’esprit, ne te manquent pas, d’ailleurs !… L’on t’avait sans doute chargé de la dépêche, dans l’espoir que l’on ne te soupçonnerait pas d’en être le porteur si vous étiez arrêtés ? tu es trop jeune pour être fusillé, mais l’on t’appliquera une bonne fessée, après quoi l’on t’enverra dans une maison de correction… Entends-tu cela ?

Le petit Rodin se montra digne de son maître et parrain ; il ne sourcilla pas, attacha fixement sur le capitaine son regard de reptile ; puis, se frappant d’une main la poitrine avec componction, il porta son autre main tour à tour à son oreille et à sa bouche, faisant comprendre par cette pantomime qu’il était sourd et muet.

— Ainsi, pauvre petit, tu es sourd et muet ? — dit le capitaine, feignant la compassion et tendant un piège au hideux enfant. — En ce cas, tu es libre… va-t’en…