Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/366

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’écart derrière l’un des battants de la porte et devisant ensemble, un cavalier et un maréchal des logis du troisième régiment de hussards, Victoria et Olivier… La beauté virile de la jeune femme, son teint pâle et brun, le léger duvet noir qui estompait sa lèvre vermeille, ses sourcils épais, l’élévation de sa taille élancée, la carrure de ses épaules, la hardiesse de son maintien, l’éclat et le feu de son intrépide regard, l’expression résolue de sa mâle physionomie, se prêtaient si merveilleusement à l’illusion de son déguisement, que personne ne l’avait soupçonné jusqu’alors ; et si l’on eût pu supposer que l’un des deux plus vaillants cavaliers du troisième hussards était une femme, les doutes se fussent éveillés à l’endroit d’Olivier, grâce à la juvénilité de sa figure encore imberbe, à la pureté des lignes de son charmant visage d’une délicatesse toute féminine. Il semblait d’ailleurs, depuis six mois, moralement transfiguré. Ses traits, jadis mornes, flétris, navrés par les ressentiments d’une douleur désespérée, rayonnaient de jeunesse, d’espérance et d’ardeur guerrière. Son grand œil bleu, limpide et brillant, semblait refléter d’éblouissantes visions d’avenir.

— Ah ! — disait-il en ce moment à Victoria d’une voix contenue et palpitante, — avec quelle impatience… quelle fièvre j’attends la journée de demain !! Tiens, Victor… je le sens là… au cœur… je serai tué ou nommé sous-lieutenant sur le champ de bataille. Oh ! si j’avais le bonheur de conquérir ce grade… j’aurais fait mon premier pas vers les hauts commandements ! Hoche, notre général en chef, n’était sous-lieutenant qu’à vingt-deux ans !… je le serais à dix-huit ans ! Quel avenir… quel avenir s’ouvrirait devant moi !

Et le jeune soldat, rêvant à cette carrière dont le glorieux mirage l’exaltait, garde pendant assez longtemps le silence. Victoria l’observe avec une attention pénétrante. Un sourire d’une expression indéfinissable contracte ses lèvres… lorsque soudain, et comme par réminiscence de son amour, Olivier, sortant de sa rêverie, ajoute en rougissant : — Peut-être demain, si je gagne mon premier grade