Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/39

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vous dis, sire, que la victime de Louis le Bien-aimé existe : elle se nomme Victoria Lebrenn ; c’est ma sœur !

Louis XVI, par respect humain et filial, avait d’abord voulu nier les monstruosités de son grand-père, quoiqu’elles lui inspirassent, soyons équitables, une horreur profonde, à lui père de famille de mœurs pures ; mais il n’eut pas le courage de nier davantage un fait aussi avéré que le viol de l’enfant du meunier de Trianon. Enfin, écrasé par l’affirmation de Jean Lebrenn au sujet de sa sœur, vivant encore et aussi victime de la lubricité de Louis le bien-Aimé, le prisonnier du Temple baissa la tête et garda le silence.

— Est-ce tout, sire ? — reprend Jean Lebrenn ; — non, ce n’est pas tout. Sachez les conséquences de ce forfait royal. Ma sœur, en sortant de Versailles, est placée par l’entremetteuse dans une maison de débauche hantée par les grands seigneurs et les prélats ; elle y reste forcément jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Elle sort de ce repaire à jamais souillée. Mon père, lui pardonnant l’opprobre dont elle est victime et non complice, flétrit publiquement, avec l’indignation de l’honnête homme, le crime de votre aïeul ; mon père un jour disparaît sans que nous sachions ce qu’il est devenu : on l’avait jeté à la Bastille. Il y est resté prisonnier sous votre règne ; il n’a dû sa délivrance qu’à la prise de cette forteresse ; mais durant sa longue captivité, devenu aveugle et perclus, il n’a pas survécu longtemps aux suites de tant de maux. Ma mère, affaiblie depuis plusieurs années par le chagrin que lui avait causé la disparition de mon père, l’a bientôt suivi au tombeau… Voilà, sire, le mal que la royauté a fait à ma famille !

Louis XVI garde pendant quelques moments un sombre silence, puis il reprend brusquement et avec une profonde amertume :

— Bien ! bien ! monsieur, triomphez donc dans votre haine ; vous voici le geôlier du descendant de ces rois que vous et les vôtres abhorrez depuis tant de siècles… Goûtez, savourez votre vengeance… N’est-elle pas satisfaite ?