Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/74

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— Pauvre sœur, tu crains que cette confidence me nuise dans l’esprit de Charlotte, ou ne soit un obstacle à notre mariage ; et, dans l’espoir de m’engager au silence, tu serais capable de m’affirmer que tu préfères l’isolement à la vie de famille que je t’offre. S’il en devait être ainsi, ce que j’aurais grand’peine à croire, parce que je connaît ton attachement pour moi, ta résolution ne changerait rien à mon projet ; et que tu vives ou non près de nous, Charlotte n’en saura pas moins combien tes malheurs, ta courageuse réhabilitation, méritent l’intérêt et le respect de tous.

— J’admets que ta fiancée ait l’esprit assez élevé, le cœur assez haut pour m’estimer encore ; mais son père ? mais sa mère ?…

À cette question, Jean Lebrenn se rappela le prétexte dont l’avocat Desmarais avait coloré son refus, en objectant que « la sœur du jeune artisan avait été maîtresse de Louis XV ! » Ce prétexte absurde et odieux, Victoria l’avait toujours ignoré, son frère voulant alors lui épargner le chagrin de se croire la cause de la rupture de ce mariage ; mais les circonstances n’étaient plus les mêmes, et il répondit à la jeune femme :

— Lors même que je voudrais, ma sœur, cacher ton existence au père de Charlotte, est-ce que maintenant cela est possible ? N’as-tu pas toujours vécu près de nos parents ou près de moi depuis le jour de la prise de la Bastille, où tu nous as été rendue ? Ne me suis-je pas cent fois entretenu de toi avec Billaud-Varenne ; et s’il a des relations d’intimité avec le citoyen Desmarais, n’est-il pas probable qu’il lui aura parlé de toi ? Enfin, dernière raison, la plus grave de toutes, ne sait-on pas dans le quartier que nous demeurons ensemble ? Le père de Charlotte, notre voisin, doit être instruit de cette circonstance, comment la nier ? Me résignerai-je à un honteux mensonge, en affirmant que tu n’es pas ma sœur ? Que penseront alors Charlotte et son père ? Que sera donc à leurs yeux cette femme jeune et belle qui partage ma demeure ? Oui, que sera-t-elle à leurs yeux, sinon ma maîtresse ?