Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/52

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— Que dis-tu ? — me suis-je écrié plein d’espoir et d’angoisse. Tu saurais quelque chose sur eux ?

— Je ne sais rien… — a-t-il repris brusquement, et se levant comme pour sortir… — Tu refuses une avance amicale… Tu as bien soupé… dors bien.

— Mais que sais-tu de mes enfants ? Parle ! je t’en conjure… parle !…

— Le vin seul me délie la langue, ami Taureau, et je ne suis point de ces gens qui aiment à boire seuls… Tu es trop fier pour vider une coupe avec ton maître… Dors bien jusqu’à demain, jour de l’encan.

Et il fit de nouveau un pas vers la porte. J’ai craint d’irriter cet homme en refusant de céder à sa fantaisie, et surtout de perdre cette occasion d’avoir des nouvelles de mon petit Sylvest et de ma petite Siomara…

— Tu le veux donc absolument ? — lui ai-je dit ; — je boirai donc, et surtout je boirai à l’espoir de revoir bientôt mon fils et ma fille.

— Tu te fais prier beaucoup, — reprit le maquignon en se rapprochant de moi à la longueur de ma chaîne ; puis il me versa une pleine coupe de vin, et s’en versa une à lui-même. Je me souvins plus tard qu’il la porta longuement à ses lèvres, sans qu’il me fût possible de m’assurer qu’il avait bu. — Allons, ajouta-t-il, — allons, buvons… au bon gain que je ferai sur toi.

— Oui, buvons à mon espoir de revoir mes enfants.

À mon tour je vidai ma coupe ; ce vin me sembla excellent.

— J’ai promis, — reprit cet homme, — je tiendrai ma promesse. Tu m’as dit que le chariot où se trouvait ta famille le jour de la bataille de Vannes était attelé de quatre bœufs noirs ?

— Oui.

— De quatre bœufs portant chacun une petite marque blanche au milieu du front ?

— Oui, ils étaient quatre frères et pareils, — ai-je répondu