Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/171

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cœur… peut-être votre front s’éclaircira-t-il… et je ne verrai plus ce mécontentement dont je m’afflige… Tétrik est notre bon parent, le capitaine Marion notre ami, Scanvoch votre frère… je n’ai rien à cacher ici… Avouez-le, chère mère, vous êtes chagrine parce que j’ai passé cette nuit dehors ?

– Vos désordres m’affligent, Victorin… je m’afflige davantage encore de ce que ma voix n’est plus écoutée par vous…

– Mère… je veux tout vous avouer ; mais, je vous le jure, je me suis plus cruellement reproché ma faiblesse que vous ne me la reprocherez vous-même… Hier soir, fidèle à ma promesse de m’entretenir longuement avec vous pendant une partie de la nuit sur de graves intérêts, je rentrais sagement au logis… j’avais refusé… oh ! héroïquement refusé d’aller souper avec trois capitaines des dernières légions de cavalerie arrivées à Mayence et venant de Béziers… Ils avaient eu beau me vanter de grandes vieilles cruches de vin de ce pays du vin par excellence ! soigneusement apportées par eux dans leur chariot de guerre pour fêter leur bienvenue… j’étais resté impitoyable… ils crurent alors me gagner en me parlant de deux chanteuses bohémiennes de Hongrie, Kidda et Flory… (Pardon, ma mère, de prononcer de pareils noms devant vous, mais la vérité m’y oblige.) Ces bohémiennes, disaient mes tentateurs, arrivées à Mayence depuis peu de temps, étaient belles comme des astres, lutines comme des démons, et chantaient comme des rossignols !

– Ah ! je la vois… je la vois venir d’ici, cette peste de luxure, marchant sur ses pattes velues, comme une tigresse sournoise et affamée !!! — s’écria Marion. — Que je voudrais donc faire danser ces effrontées diablesses de Bohème sur des plaques de fer rougies au feu… c’est alors qu’elles chanteraient d’une manière douce à mes oreilles…

– J’ai été encore plus sage que toi, brave Marion, — reprit Victorin ; — je n’ai voulu les voir chanter et danser d’aucune façon… j’ai fui à grands pas mes tentateurs pour revenir ici…