Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/20

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salle, au milieu de laquelle s’élevait un tribunal éclairé par de nombreux flambeaux. Assises derrière ce tribunal, elle reconnut plusieurs des personnes qu’elle avait vues au souper chez Ponce-Pilate : les seigneurs Caïphe, prince des prêtres ; Baruch, docteur de la loi ; Jonas, sénateur et banquier, se trouvaient parmi les juges du jeune maître de Nazareth. Il fut conduit devant eux les mains liées, la figure toujours calme, triste et douce ; à peu de distance de lui se tenaient les huissiers, derrière eux, mêlés aux miliciens et aux gens de la maison de Caïphe, les deux émissaires mystérieux que Geneviève avait remarqués à la taverne de l’Onagre.

Autant la contenance de l’ami des affligés était tranquille et digne, autant ses juges paraissaient violemment irrités ; leurs traits exprimaient le triomphe d’une joie haineuse ; ils se parlaient à voix basse, et, de temps à autre, ils désignaient d’un geste menaçant le fils de Marie, qui attendait patiemment son interrogatoire. Geneviève, confondue parmi ceux qui remplissaient la salle, les entendait se dire :

— Le voici donc enfin pris, ce Nazaréen qui prêchait la révolte !

— Oh ! il est moins hautain à cette heure que lorsqu’il était à la tête de sa troupe de scélérats et de femmes de mauvaise vie !

— Il prêche contre les riches, — dit un des serviteurs du prince des prêtres. — Il commande le renoncement des richesses… mais si nos maîtres faisaient maigre chère, nous serions donc, nous autres serviteurs, réduits au sort des mendiants affamés, au lieu de nous engraisser des abondants reliefs des festins délicats de nos maîtres !

— Et ce n’est pas tout, — reprit un autre serviteur. — Si l’on écoutait ce Nazaréen maudit, nos maîtres, volontairement appauvris, renonceraient à toutes les magnificences, à tous les plaisirs… ils ne mettraient pas chaque jour au rebut de superbes robes ou tuniques parce que la broderie ou la couleur de ces vêtements ne leur plaît plus… Or, qui profite de ces caprices de nos fastueux seigneurs, sinon nous autres, puisque tuniques et robes nous reviennent ?

— Et si nos maîtres renonçaient aux plaisirs, pour vivre de jeûne