Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/273

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Les rideaux de la cellule se refermèrent sur moi, je restai dans l’obscurité pendant quelque temps, je n’entendis que le pas de Victoria sur le plancher, elle marchait avec agitation. J’étais dans cette cachette depuis une demi-heure peut-être, lorsque la porte de la chambre de Victoria s’ouvrit, se referma, et une voix dit ces mots :

— Salut à Victoria la Grande.

C’était la voix de Tétrik, toujours mielleuse et insinuante. L’entretien suivant s’engagea entre lui et Victoria ; ainsi qu’elle me l’avait recommandé, je n’en ai pas oublié une parole, car dans la journée même je l’ai transcrit de souvenir, et parce que je sentais toute la gravité de cette conversation, et parce que cette mesure m’était commandée par une circonstance que tu apprendras bientôt.

— Salut à Victoria la Grande, — avait dit l’ancien gouverneur de Gascogne.

— Salut à vous, Tétrik.

— La nuit vous a-t-elle, Victoria, porté conseil ?

— Tétrik, — répondit Victoria d’un ton parfaitement calme et qui contrastait avec l’agitation où je venais de la voir plongée, — Tétrik, vous êtes poëte ?

— À quel propos, je vous prie, cette question ?

— Enfin… vous faites des vers ?

— Il est vrai… je cherche parfois dans la culture des lettres quelque distraction aux soucis des affaires d’État… et surtout aux regrets éternels que m’a laissés la mort de notre glorieux et infortuné Victorin… auquel je survis contre mon attente… Je vous l’ai souvent répété, Victoria… en nous entretenant de ce jeune héros… que j’aimais aussi paternellement que s’il eût été mon enfant… J’avais deux fils, il ne m’en reste qu’un… Je suis poëte, dites-vous ? hélas !… je voudrais être l’un de ces génies qui donnent l’immortalité à ceux qu’ils chantent… Victorin vivrait dans la postérité comme il vit dans le cœur de ceux qui le regrettent ! Mais à quoi bon me parler de mes vers… à propos de l’important sujet qui me ramène auprès de vous ?