Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/31

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— Seigneurs, entrons chez Ponce-Pilate, afin qu’il condamne tout de suite le Nazaréen à mort !

Le prêtre Caïphe répondit d’un air pieux :

— Mes seigneurs, nous ne pouvons entrer dans la maison d’un païen ; cette souillure nous empêcherait de manger la pâque aujourd’hui[1].

— Non, — ajouta le docteur Baruch, — nous ne pouvons commettre cette impiété abominable.

— Les entendez-vous ? — dit à la foule l’un des émissaires avec un accent d’admiration, — les entendez-vous les saints hommes ? quel respect ils professent pour les commandements de notre religion !… Ah ! ceux-là ne sont pas comme cet impie Nazaréen, qui raille et blasphème les choses les plus sacrées, en osant déclarer qu’il ne faut pas observer le sabbat.

— Oh ! les infâmes hypocrites ! — se dit Geneviève ; — combien Jésus les connaissait, comme il avait raison de les démasquer ! Les voilà qui craignent de souiller leurs sandales en entrant dans la maison d’un païen, et ils ne craignent pas de souiller leur âme en demandant à ce païen de verser le sang d’un juste, leur compatriote ! Ah ! pauvre jeune maître de Nazareth ! ils vont te faire payer de ta vie le courage que tu as montré en attaquant ces méchants fourbes.

L’officier des miliciens étant entré dans le palais de Ponce-Pilate, tandis que l’escorte demeurait au dehors gardant le prisonnier, Geneviève monta derrière un chariot attelé de bœufs arrêté par la foule, et tâcha d’apercevoir encore le jeune homme de Nazareth.

Elle le vit debout au milieu des soldats, les mains liées derrière le dos, la tête nue, ses longs cheveux blonds tombant sur ses épaules, le regard toujours calme et doux, un sourire de résignation sur les lèvres. Il contemplait cette foule tumultueuse, menaçante, avec une sorte de commisération douloureuse, comme s’il eût plaint ces hommes de

  1. Évangile selon saint Jean, ch. XVIII, v. 28.