Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/328

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— Où est-il donc ? où est-il donc, ce bon colporteur qu’Hésus nous envoie par cette longue veillée d’hiver ?

— Quel bonheur de voir en détail toutes ses marchandises !

— Où est-il donc ? où est-il donc ?

— Il secoue sous le porche les frimas dont il est couvert.

— Bonne mère, tel est donc le malheur qui nous menaçait parce que je désire voir une Korrigan ?

— Taisez-vous, mon fils… demain est à Dieu !

— Voici le colporteur ! le voici…

C’était lui… Il secoua au seuil de la porte ses bottines de voyage, si couvertes de neige, qu’il semblait porter des chaussons blancs. Homme robuste, d’ailleurs, trapu, carré, dans la force de l’âge, à l’air jovial, ouvert et déterminé. Madalèn, toujours inquiète, ne le quittait point des yeux, et par deux fois elle fit signe à son fils de revenir à ses côtés ; le colporteur, relevant le capuchon de son épaisse casaque où miroitait le givre, se débarrassa de sa balle, lourd fardeau qui semblait léger pour ses fortes épaules ; puis, ôtant son bonnet de laine, il s’avança vers Araïm, le plus vieux de la maisonnée :

— Longue vie et heureux jours aux gens hospitaliers ! c’est le vœu que fait pour toi et ta famille Hêvin, le colporteur. Je suis Breton ; je m’en allais à Falgoët, lorsque la nuit et la tempête m’ont surpris sur la côte ; j’ai vu au loin la lumière de cette demeure, je suis venu, j’ai appelé, l’on m’a ouvert… Encore une fois, merci aux gens hospitaliers…

— Madalèn, qu’avez-vous à rêver ainsi, pensive et triste ? la bonne figure et les bonnes paroles de ce colporteur ne vous rassurent-elles pas ? lui croyez-vous une Korrigan dans sa manche ?

— Mon père, demain appartient à Dieu… Je me sens plus chagrine encore depuis l’entrée de cet étranger.

— Plus bas, parlez plus bas encore, chère fille ; ce pauvre homme pourrait vous entendre et se chagriner… Ah ! ces mères ! ces mères !