Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sommes égarés, et toi, le bon pasteur, tu nous laisses aux mains des bouchers[1] !

Et ces misérables ne furent pas les seuls à insulter l’agonie de Jésus ; car, chose horrible, à laquelle Geneviève, à l’heure où elle écrit ceci, peut à peine croire, le docteur Baruch, le banquier Jonas et Caïphe le prince des prêtres, se joignirent aux deux voleurs pour railler et outrager le jeune maître de Nazareth au moment où il allait rendre l’âme[2].

— Oh ! Jésus de Nazareth ! Jésus le messie ! Jésus le prophète ! Jésus le sauveur du monde ! — disait Caïphe en raillant, — comment n’as-tu pas prophétisé ton sort ?… Pourquoi ne commences-tu pas par te sauver toi-même, toi qui devais sauver le monde ?

— Tu te dis le fils de Dieu, ô Nazaréen le divin ! — ajoutait le banquier Jonas ; — nous croirons à ta céleste puissance si tu descends de ta croix… Nous ne te demandons que ce petit prodige !… Voyons, fils de Dieu… descends ! descends donc ! Quoi ! tu préfères rester cloué sur cette poutre, comme un oiseau de nuit à la porte d’une grange ?… Libre à toi… on pourra t’appeler Jésus le crucifié… mais jamais Jésus le fils de Dieu…

— Tu te montrais si confiant dans le Seigneur ! — ajouta le docteur Baruch ; — appelle-le donc à ton secours ! S’il te protège, si tu es véritablement son fils, que ne tonne-t-il contre nous, tes meurtriers ? Que ne change-t-il cette croix en un buisson de roses, d’où tu t’élancerais radieux vers le ciel ?

Les huées, les railleries des soldats romains accompagnaient ces lâches outrages des pharisiens ; soudain Geneviève vit Jésus se raidir de tous ses membres, faire un dernier effort pour lever vers le ciel sa

  1. « Et les deux voleurs crucifiés auprès de Jésus l’accablaient de railleries et de reproches. » (Évangile selon saint Matthieu, ch. XXVII, v. 46.)
  2. « Les princes des prêtres, les docteurs de la loi et les sénateurs se moquaient de Jésus sur la croix en disant : Il a sauvé les autres et il ne peut pas se sauver lui-même. » Etc. (Évangile selon saint Matthieu, ch. XXVII, v. 40, 42.)