Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/106

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— Telle est la gratitude des prêtres envers la descendance de ces rois franks qui ont rendu l’Église si puissante et si riche !

— L’Église ne doit rien aux rois et ils lui doivent la rémission de leurs péchés ! — répondit dédaigneusement l’archevêque ; — si les rois ont beaucoup donné à l’Église ici-bas, ils ont reçu au centuple dans le ciel et pour l’éternité ; écoute donc mes paroles, Ghisèle... — L’infortunée ne répondit pas, elle ne voyait plus, n’entendait plus ; à demi morte de terreur, elle poussait de temps à autre un douloureux gémissement. Le prélat jetant un regard dominateur et courroucé sur le roi qui tâchait en vain de ranimer sa fille, reprit : — Ghisèle, prends garde ! si par suite de ton refus ou celui de ton père les païens north-mans recommençaient en Gaule la guerre terrible, sacrilège, à laquelle ils ont promis de mettre fin dans le cas où ton père accorderait à leur chef Rolf, ta main et la Neustrie ! ton père et toi vous seriez seuls responsables des maux affreux qui de nouveau désoleraient notre pays !

— Francon, écoute-moi à ton tour, — reprit Karl-le-Sot d’une voix suppliante, tandis que sa fille, son visage caché dans ses mains, ne pouvait contenir ses plaintes déchirantes, — saint archevêque, un mot seulement : les seigneurs, tu l’as dit, sont plus rois que moi ; ils ont comme moi des provinces et des filles ; que ne donnent-ils à Rolf une de leurs provinces et une de leurs filles ?

— Rolf veut la Neustrie... et la Neustrie t’appartient ; Rolf veut Ghisèle... et Ghisèle est ta fille.

— Moi épouser ce monstre qui a fait mourir ma mère ! — s’écria Ghisèle, — non, jamais ! oh ! jamais !... j’aime mieux mourir !

— Alors malédiction sur toi en ce monde et dans l’autre ! — s’écria l’archevêque d’une voix tonnante ; — le sang qui va couler dans ces guerres impies retombera sur ton père et sur toi, car ce sang vous pouviez l’empêcher de couler ! ces dévastations sacrilèges des saints lieux, ton père et toi vous en répondrez devant Dieu, car ces sacrilèges vous pouviez les empêcher ! ces crimes abominables