Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/109

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portent suspendus à leur cou des boucliers peints et dorés. Ah ! voici les pirates north-mans couverts de leurs armures, et l’étendard du vieux Rolf ; on voit sur ce drapeau un corbeau de mer les serres et le bec ouverts. Pousse ton cri de triomphe, vieux corbeau de mer ! ta proie est belle : une province de la Gaule et la fille d’un roi !

— Ah ! Rustique, pouvez-vous plaisanter ainsi ! — dit Anne-la-Douce d’un ton de triste et affectueux reproche, — pauvre petite Ghisèle ! épouser ce vieux monstre ! La voyez-vous d’ici, Rustique, cette infortunée ?

— Non, pas encore; voici maintenant les femmes pirates ; oh ! qu’elles sont fières sous leurs armures de mailles d’acier ayant au bras leurs boucliers couleur d’azur ! Ce sont maintenant les seigneurs de la suite du Comte de Paris, avec leurs longues robes brodées d’or et garnies de fourrures. Tiens, ils s’arrêtent soudain ; ils se retournent avec inquiétude ; que se passe-t-il donc ? — Et Rustique-le-Gai s’appuyant à la muraille se dressa sur la pointe des pieds afin de voir de plus loin ; au bout d’un instant il s’écria : — Oh ! la pauvrette ! Anne, vous aviez raison, quoique fille de roi elle est à plaindre.

— Est-ce de Ghisèle que vous parlez, Rustique ? — dit la jeune fille, — que lui est-il arrivé ?

— Elle s’avançait soutenue sur le bras de Karl-le-Sot, plus pâle qu’une morte sous sa robe blanche de fiancée, lorsque soudain les forces lui ont manqué tout à fait, et sans plusieurs seigneurs qui l’ont soutenue elle tombait évanouie sur le sol.

— Ah ! mon père, — dit Anne-la-Douce à Eidiol, les yeux humides de larmes, — le sort de cette infortunée n’est-il pas affreux ?

— Affreux, oui, et moins affreux pourtant que le sort de ces milliers de femmes de notre race qui ont été violentées par les seigneurs franks ou les gens d’église leurs complices ! Sortant de la couche de leurs maîtres, elles retournaient aux écrasants labeurs de la servitude, avilies, battues, achetées, vendues comme bétail, mourant à la peine ou sous les coups, ignorant les saintes joies de la famille, dé-