Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/149

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avait deux enfants : Germain, serf forestier de ce domaine, et Yvonne, charmante enfant de seize ans, que Guyrion-le-Plongeur, fils de mon bisaïeul, épousa ; elle vint habiter avec lui à Paris, où il exerçait, comme son père, l’état de nautonnier ; Guyrion eut d’Yvonne un fils nommé Luduecq...

— Luduecq ?... mais je connais ce nom ?

— Ainsi s’appelait mon père.

— Il était serf forestier des bois de Compiègne ?

— Oui, mais écoute encore ; Guyrion, mon aïeul, et Rustique-le-Gai, mari d’Anne-la-Douce, continuaient à Paris leur métier de nautonniers ; Anne, un jour, fut outragée par un des officiers du comte de la Cité ; Rustique assomma l’officier, les soldats revinrent en armes, les mariniers se soulevèrent à la voix de Rustique et de Guyrion, mais tous deux furent tués ainsi qu’Anne-la-Douce, dans la sanglante mêlée qui s’engagea ; mon aïeul avait été l’un des chefs de cette révolte, le peu qu’il possédait, sa maison et son bateau, héritage paternel, fut confisqué, sa veuve réduite à la misère quitta Paris avec son enfant, vint demander un asile et du pain à Germain son frère, serf forestier ; il partagea sa hutte avec la pauvre Yvonne et son fils. Telle est l’iniquité de la loi des Franks, que ceux qui habitent un an et un jour une terre royale ou seigneuriale deviennent serfs de cette terre : ce fut le sort de la veuve de mon grand-père et de son fils Luduecq ; elle, fut employée aux travaux des champs ; lui, suivant la condition de son oncle, lui succéda comme forestier du canton de la Fontaine-aux-Biches ; plus tard Luduecq épousa une serve dont la mère était lavandière du château. Je suis né de ce mariage. Mon père, aussi tendre pour sa femme et pour moi que rude et ombrageux envers les autres, songeait toujours à la mort de mon aïeul Guyrion, massacré par les soldats du comte de Paris, jamais il ne sortait de la forêt que pour porter au château ses redevances de gibier ; d’un caractère sombre, indomptable, souvent battu de verges pour ses rebellions contre les agents du baillif de ce domaine, il se serait