Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/161

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travailler leurs serfs à notre profit ; oui, oui, elle est venue, la fin du monde, elle est venue, mais pour les stupides, tandis qu’un monde splendide et nouveau s’ouvre devant nous, prêtres du Seigneur !

Voici venir la fin du monde ! — disaient de moins fervents catholiques. — Quoi ! il nous reste à peine un an, un mois, une semaine, un jour à vivre ! nous sommes pleins de jeunesse, de désirs, d’ardeur ! Et nous passerions dans la terreur, le jeûne, la mortification, l’abstinence, le peu d’instants dont le terme est compté ? Non, non, vidons nos coffres-forts ! défonçons nos tonnes ! revêtons nos plus riches habits, et vivons en un mois, en un jour, en une heure, s’il le faut, la vie vingt fois, cent fois plus longue qui nous était réservée ! de l’or ! des fleurs ! du vin ! des femmes ! À nous toutes les joies, toutes les ivresses, toutes les débauches ! cette orgie de l’univers n’aura de terme que le chaos du monde croulant dans l’abîme de l’immensité !

Voici venir la fin du monde ! — disaient les amants à leurs maîtresses : — à quoi bon attendre, lutter, résister ? rions-nous des pères et des maris ! Il nous reste un jour, qu’il soit à l’amour !

Voici venir la fin du monde ! — disaient marchands, artisans. trafiquants ; — à quoi bon acheter, trafiquer, tisser la toile, forger le fer, charronner le bois, ouvrer des étoffes ? — Et les uns donnaient aux prêtres leurs marchandises, d’autres les vendaient, quand ils trouvaient à les vendre. À quoi bon s’approvisionner quand le dernier de nos jours va sonner ?

— Enfin ! enfin ! voici venir la fin du monde ! — disaient avec une joie farouche, avec une sinistre espérance, les millions de serfs des domaines du roi, de l’Église et des seigneurs. — Le voici donc enfin venu le terme de nos misères ! La voici donc venue, la fin de notre écrasante journée de labeur ! fatale journée qui se compte, non par les heures, mais par les ans ! fatale journée dont notre naissance est l’aube, et notre mort le soir !... Ils vont donc enfin se reposer dans la nuit éternelle, nos pauvres corps brisés par le travail, exté-