Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/163

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hébétées ou les plus rebelles, éprouvèrent quelque chose qui n’a jamais eu... qui jamais n’aura de nom dans aucune langue...

Minuit sonna !...

L’an 1000 commençait !

Ô stupeur ! les morts ne se lèvent pas de leurs sépulcres, les profondeurs de la terre ne s’entr’ouvrent pas, les océans ne sortent pas de leurs abîmes, les astres, lancés hors de leur orbite, ne se heurtent pas dans l’immensité ! Quoi ! pas seulement un petit éclair ? Quoi ! pas le moindre tonnerre ? Non, rien ! Et ce nuage de feu au sein duquel devait, sur son trône resplendissant, apparaître l’Éternel, au formidable retentissement du clairon des archanges annonçant le dernier jugement ? Non, pas l’ombre d’un Éternel, d’un trône ou d’un archange ! l’on ne voit rien ! aucun de ces prodiges effrayants, prophétisés par saint Jean l’Évangéliste, pour la minuit de l’an 1000 ne se réalise ! Jamais, au contraire, nuit ne fut plus calme, plus sereine ; jamais lune et étoiles ne brillèrent d’un plus vif éclat dans l’azur du firmament ! Pas un souffle de vent n’agita la cime des arbres, et les hommes, dans le silence de leur stupeur, purent entendre le murmure des plus petits ruisseaux coulant sous l’herbe. L’aube paraît, le jour luit... jamais soleil plus radieux ne jeta sur la création ses torrents de lumière !

Alors, de même que l’attente du dernier des jours avait jeté dans les âmes ce quelque chose qui n’a, qui n’aura de nom dans aucune langue, l’on ne pourrait exprimer non plus ce qui suivit cette universelle déconvenue : ce fut une explosion inouïe de regrets, de remords, de surprise, de récriminations et de rage ! Les meilleurs catholiques s’étaient crus au seuil du séjour des justes, ils perdaient un paradis chèrement payé d’avance à l’Église ! d’autres ayant jeté leurs trésors au vent de ces derniers jours d’ivresse et de vertige, se voyaient nus, dépouillés, devant vivre peut-être de longues années encore ! Des millions de pauvres serfs espéraient s’endormir dans le repos de la nuit éternelle, et ils voyaient avec désespoir se lever de nouveau