Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/164

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pour eux l’aube sinistre de ce long jour de misères et de douleur, jour détesté, dont leur naissance était le matin, et leur mort le soir ! la terre laissée inculte dans l’attente de la fin du monde, ne pourrait plus nourrir ses habitants, l’on prévoyait d’horribles famines. Une immense clameur s’éleva contre l’Église, auteur ou complice de cette fourberie grande comme le monde, fourberie dont les prêtres avaient seuls profité ; mais l’Église catholique, apostolique et romaine possède aussi la divinité de la ruse et de l’audace. Que répondit-elle aux clameurs qui s’élevaient contre elle ? Ce qu’elle répondit ? Le voici :

« — Oh ! les malheureux incrédules ! ils osent douter de la voix du Tout-Puissant, qui leur a parlé par la bouche du prophète ! Oh ! les malheureux aveugles ! ils ferment les yeux à la lumière divine ! Oh ! les malheureux sourds, ils ferment l’oreille à la parole divine ! Oui, les prophètes ont annoncé la fin des temps ! oui, les saintes Écritures ont prédit que le jour du dernier jugement viendrait mille ans après le Sauveur du monde... oui, oui... Mais répondez, hommes de peu de foi ! répondez... Quand s’est-il surtout divinement manifesté le Sauveur du monde, hein ? n’est-ce pas après sa Passion ? lorsque par sa résurrection miraculeuse il est remonté de la terre aux cieux pour s’asseoir à la droit du Très-Haut ? Donc, si le Christ est né mille ans avant l’an 1000, évidemment il ne s’est manifesté comme Dieu qu’à sa mort, à savoir trente-deux ans après sa naissance ; est-ce clair ? Donc à la fin de 1032 viendra seulement la fin des temps, prédite par les prophètes... Aussi devez-vous, ô fidèles ! pendant ces trente-deux années qui vous séparent du terme fatal, continuer, en vue de votre salut éternel, d’abandonner à l’Église vos biens périssables ! »

L’hébétement des peuples est peut-être plus prodigieux encore que la diabolique astuce de l’Église de Rome : grand nombre de donataires crurent benoîtement à cette nouvelle jonglerie des prêtres ; mais aussi, bon nombre de seigneurs, si effrontément larronnés, coururent sus aux hommes de peu pour leur reprendre, par la force,