Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/230

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Victoria-la-Grande ; non, les cheveux roux de Neroweg VI, déjà grisonnants, au lieu de flotter sur ses épaules comme une queue de cheval, étaient rasés jusqu’à la moitié des tempes et du crâne, puis tombaient carrément derrière son cou et le long de ses oreilles ; les gens de guerre de ce temps-ci se font ainsi raser le devant de la tête, afin que leur chevelure ne les gêne point sous le casque et ne dépasse pas sa visière. Au lieu de conserver seulement de longues moustaches, ainsi que ses ancêtres des premiers temps de la conquête, Neroweg VI laissait pousser dans toute sa longueur sa barbe épaisse et rude, mélangée çà et là de poils blancs ; elle encadrait son visage farouche, au nez recourbé, ses gros sourcils se joignaient au-dessus de ses yeux de faucon, ronds et perçants. Toujours s’attendant à être attaqué dans son repaire, toujours prêt à guerroyer contre ses voisins ou contre certaines troupes de voyageurs qui, parfois, mais rarement, tentaient de s’opposer par la force aux brigandages des châtelains, le seigneur de Plouernel, armé du matin au soir, portait un casque, qu’il déposa en entrant chez sa maîtresse ; son justaucorps et ses chausses de buffle disparaissaient sous un haubert ou tunique de mailles de fer serré à sa taille par un ceinturon de cuir où pendaient deux épées, la plus courte à droite, la plus longue à gauche. Ce haubert garantissant ses bras jusqu’à la hauteur de ses gantelets, tombait un peu au-dessous de ses genoux, défendus, ainsi que ses jambes, par des plaques de fer garnies de courroies. Les traits de Neroweg VI trahissaient un morne et sombre accablement ; Azenor-la-Pâle, toujours occupée à enfoncer des aiguilles dans le côté gauche de la figurine de cire, murmura quelques paroles en langue étrangère, et ne parut pas s’apercevoir de la venue du comte. Il s’approcha lentement et lui dit d’une voix sourde : — Ton philtre est-il prêt ?

La sorcière, sans répondre, continua ses opérations magiques, puis, montrant à Neroweg VI les deux poupées représentant un évêque et un guerrier, elle reprit : — Quels sont ceux de tes ennemis que tu redoutes et que tu hais davantage ?