Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Monseigneur, — dit-elle d’une voix faible et suppliante, — il m’est impossible de me résigner à... — Elle ne put achever, les sanglots étouffèrent sa parole et, fondant en larmes, elle appuya son front sur l’épaule de sa mère, qui dit au comte : — Mon bon seigneur, soyez juste et généreux, ma fille aime Eucher, un de vos vassaux ; Eucher aime non moins tendrement ma fille Yolande, l’union de ces deux enfants ferait le bonheur de ma vie... et...

— Encore ce mariage ! — s’écria le seigneur de Plouernel d’un ton courroucé en interrompant la mère d’Yolande. — Ta fille, par la mort de son père, possède un fief relevant de ma suzeraineté : à moi seul appartient le droit et le pouvoir de marier ta fille (Z). Je lui ai, selon notre coutume, donné le choix entre trois de mes hommes, trois hommes francs, c’est-à-dire nobles : Richard, Enguerrand et Conrad ; le plus vieux n’a pas encore soixante ans, il s’en faut de deux mois (AA), les conditions d’âge sont donc observées. Veux-tu, oui ou non, un de mes trois hommes-liges pour époux ?

— Hélas ! monseigneur, — reprit d’une voix suppliante la mère d’Yolande, tandis que celle-ci sanglotait toujours, incapable de prononcer une parole, — Richard est borgne et d’une laideur repoussante ; Conrad a tué sa première femme dans un accès de colère ; Enguerrand, redouté de tout le monde, aura soixante ans dans deux mois, et...

— Ainsi ta fille refuse d’épouser un de ces trois hommes ? — dit Neroweg VI en interrompant la mère d’Yolande ; — elle refuse !

— Seigneur, jamais elle ne voudra choisir un autre époux que Eucher ; et moi, je vous le jure, ce jouvenceau est digne de l’amour de ma fille.

— Par le diable ! assez de paroles ! — s’écria Neroweg VI ; — si ta fille, refusant de choisir parmi mes hommes, épouse son Eucher, le fief m’appartiendra ; c’est mon droit (BB)... j’en userai !

— Au nom du ciel, mon seigneur ! si vous vous emparez de notre bien, de quoi vivrons-nous ? Faudra-t-il donc mendier notre pain ?