Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/244

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Yolande releva son beau visage, pâle et baigné de larmes, fit un pas vers Neroweg VI et lui dit avec dignité : — Gardez l’héritage de mon père, j’aime mieux vivre misérable avec l’homme de mon choix, que d’épouser l’un de vos bandits !

— Ma fille ! — s’écria la mère désolée, — si tu désobéis au seigneur de Plouernel, hélas ! c’est la misère pour nous !

— Et pour moi, ma mère, épouser l’un des trois hommes que l’on me propose, c’est la mort ! — dit la pauvre enfant ; — à un si odieux mariage, je ne survivrais pas !

— Seigneur, mon bon seigneur ! — dit la mère éplorée, — souffrez du moins qu’Yolande reste fille ? Hélas ! voudrez-vous la contraindre à choisir entre notre ruine et un mariage dont la seule idée l’épouvante !

— Aucun fief ne peut demeurer en possession d’une femme, — dit sentencieusement le baillif, — notre coutume s’y oppose.

— Assez de paroles ! — s’écria Neroweg VI en frappant du pied avec colère ; — cette fille refuse d’épouser l’un de mes hommes, le fief m’appartient ! Baillif, tu enverras ce soir prendre possession de la maison et de tout ce qui s’y trouve !

— Viens, ma mère, — reprit fièrement Yolande contraignant sa douleur, — nous étions libres et heureuses, nous voici aussi misérables que des serves. Va, Neroweg ! l’on t’a justement nommé Pire-qu’un-Loup ! car tu es plus rapace, plus cruel qu’un loup... Garde mes biens, tu as la force, use de ta force ! — Et Yolande se dirigea vers la porte de la salle, suivie de sa mère qui murmurait en gémissant : — Hélas ! nous voici dans la misère, qu’allons-nous devenir, mon Dieu ? qu’allons-nous devenir ?

Le seigneur de Plouernel se fût sans doute vengé des amers reproches d’Yolande, s’il n’eût été distrait par la soudaine venue de l’un de ses hommes qui, accourant du dehors tout essoufflé, entra en criant : — Monseigneur ! monseigneur ! l’évêque de Nantes vient d’être arrêté au péage de la chaussée... Il était déguisé en moine