Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/255

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une grande, une profonde pensée ; la voici : Façonner l’Europe catholique à obéir aux papes comme à la voix de Dieu lorsqu’ils prêcheront l’extermination des hérétiques, nos ennemis mortels ; mais à cette première guerre religieuse il fallait un prétexte et un but : le pape Gerbert les trouva.

— Et ce but ? ce prétexte ?

— Gerbert imagina la délivrance du tombeau du Christ, puisque, par la suite des temps, le saint sépulcre est tombé au pouvoir des Sarrasins, maîtres de la Syrie et de Jérusalem. Cette féconde idée, éclose dans le cerveau de Gerbert, couvée par Grégoire VII, l’Église la caressa constamment, prêchant d’abord aux peuples le pèlerinage de Jérusalem, afin d’aller y prier sur le tombeau du Seigneur, et de gagner ainsi la rémission de tous leurs péchés ; de la sorte, au retour des pèlerins, les peuples de Germanie, d’Espagne, de Gaule, d’Angleterre, entendirent peu à peu parler de Jérusalem, la ville sainte ; les pèlerinages se multiplièrent ; si long que fût le voyage, il ne parut pas impossible ; puis il assurait des indulgences pour tous les crimes, et, en fin de compte, c’était un voyage de plaisir pour les mendiants, les vagabonds, les serfs échappés des domaines de leurs maîtres ; ils trouvaient, par ordre de l’Église, bon gîte dans les abbayes, quelque argent dans les villes, et le passage gratuit sur les vaisseaux génois ou vénitiens jusqu’à Constantinople ; là, de nouveau, parfaitement accueillis par les prêtres de l’Église grecque, ils partaient ensuite pour Jérusalem, traversant la Syrie, gîtant de couvent en couvent ; puis, arrivés dans la ville sainte, ils y faisaient leurs dévotions.

— Et tout cela sans empêchement des Sarrasins ; il faut l’avouer entre nous, Yéronimo, la tolérance de ces mécréants fut extrême... Les églises s’élevaient en paix à côté des mosquées ; les chrétiens vivaient tranquilles dans le pays, et les pèlerins n’étaient jamais inquiétés.

— Oui, jusqu’au jour où les Sarrasins, sous prétexte d’anathèmes