Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/263

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— Et moi je dis oui, cent fois oui. Quoi ! ces pillards féroces, rongés par l’ennui, ne quitteraient pas leurs sinistres donjons pour ces villes de marbre et d’or peuplées de femmes enivrantes ? Quoi ! ces rudes hommes, chevauchant de l’aube au soir pour guerroyer ou rapiner, reculeraient devant les périls, la longueur d’un tel voyage ? Quoi ! ces fervents catholiques, souillés de crimes, manqueraient cette occasion de faire leur salut éternel, en pillant les richesses de l’Orient et se partageant cette terre promise ? Non, non, crois-moi, le fruit est mur, il s’agit de le cueillir avec prudence et dextérité ! Le moment est venu, l’heure des croisades, a sonné ; au premier appel de l’Église un nombre immense de serfs et de seigneurs vont se mettre en route pour la terre sainte. Et maintenant, résumons en deux mots les avantages immenses de l’Église à mouvoir cette croisade : Premièrement, rois et seigneurs, engagés par cette première guerre sainte, et au besoin poussés par la farouche crédulité des peuples, sont désormais forcés de marcher à la voix du pape contre les infidèles ou les hérétiques du dedans ou du dehors ! Viennent de nouvelles hérésies, l’Église les brave ; à sa voix elles seront écrasées dans le sang ! secondement, nous déversons hors du pays le trop plein de la plèbe serve en ce qu’elle a de plus redoutable, et s’il en revient, il en reviendra peu ! troisièmement, l’Église est délivrée d’un grand nombre de ces brigands féodaux, nos rivaux en domination et en richesses ; et de ceux-ci, non plus que des serfs, il reviendra peu... ou prou ; quatrièmement, écoute ceci, c’est chose capitale : les seigneurs partant pour Jérusalem auront, n’est-ce pas, besoin de grosses sommes pour entreprendre un pareil voyage ; cet argent, comment se le procureront-ils ? en vendant terres seigneuriales et droits souverains ; or, en ces circonstances pressantes, qui peut, sinon l’Église, dont le coffre est toujours bien garni, acheter ces grand domaines ? Pouvant seule acheter, elle n’achètera qu’à vil prix ; voici donc une partie de la seigneurie dépossédée de ses biens, de ses droits au profit du clergé.