Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/266

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près de la porte du cachot, une longue caisse de bois remplie de paille servait de lit, là était étendue la fille du bourgeois de Nantes, blême comme une morte et glacée de terreur ; tantôt son corps tressaillait de frissonnements convulsifs, tantôt elle demeurait immobile, les yeux fermés, sans que ses larmes cessassent de sillonner son visage livide. Bezenecq-le-Riche, assis au bord de la couche de paille, les coudes sur ses genoux, son front caché dans ses mains, disait : — Qu’ai-je appris ? Le seigneur de Plouernel... lui ? un descendant de Neroweg ! La rencontre est étrange, fatale !

— Ah ! mon père, — murmura la jeune fille d’une voix défaillante, — cette rencontre est l’arrêt de notre mort !

— L’arrêt de notre ruine, mais non de notre mort ! Rassure-toi, pauvre enfant, le seigneur de Plouernel ignore que notre obscure famille s’est trouvée en lutte avec la sienne à travers les âges... Mais, lorsque ce baillif a prononcé le nom de Neroweg VI, que je n’avais pas encore entendu pendant cette journée maudite, et qu’interrogé par moi, cet homme m’a répondu que son maître appartenait à l’ancienne famille franque des Neroweg, établie en Auvergne depuis la conquête des Gaules par Clovis, je n’ai conservé aucun doute, et malgré moi j’ai frémi, au souvenir des légendes de notre famille, qu’autrefois mon père nous lisait à Laon, et qui sont restées en ce pays entre les mains de Gildas, mon frère aîné !

— Ah! pourquoi notre aïeul a-t-il quitté la Bretagne ?... Cette contrée n’est peut-être pas soumise comme celle-ci à la tyrannie des seigneurs !

— Hélas ! chère enfant, je te l’ai dit, notre aïeul qui, seul parmi les autres descendants de Joel dispersés en Gaule ou dans les pays lointains, avait continué d’habiter près des pierres sacrées de Karnak, le berceau de notre famille, n’a pu souffrir plus longtemps l’oppression des seigneurs bretons, devenus, depuis leur alliance avec le clergé catholique, aussi cruels que les seigneurs franks ! Notre aïeul a vendu le peu qu’il possédait, s’est embarqué à Vannes avec sa femme,