Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/278

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— Écoute-moi toujours ; on fait, vois-tu, du feu sous ce gril, comme en ce moment ; lorsque ce feu ne flambe plus, c’est essentiel, et forme un beau brasier, on étend le récalcitrant tout nu sur ce gril, et on l’y maintient au moyen de ces anneaux et de ces chaînes de fer ; au bout de quelques instants la peau du têtu rougit, grésille, se fend, saigne, noircit, que te dirai-je ? j’ai vu le brasier pétiller sous la graisse qui, toute sanguinolente, filtrait du corps de quelques hommes... encore moins gras que toi, Bezenecq-le-Riche.

— Tenez, baillif, je vous l’avoue, le cœur me manque, la tête me tourne, à la seule pensée d’un pareil supplice ! — dit le bourgeois de Nantes en frémissant ; — je me sens prêt à défaillir... laissez-moi sortir de ce cachot avec ma fille... Je vous ai fait donation de tous mes biens... et...

— Allons, allons, Bezenecq-le-Riche, — reprit le baillif en interrompant le marchand, — un homme qui s’exécute aussi aisément que toi, au premier mot, sans avoir souffert la moindre torture, doit avoir gardé d’autres richesses !

— Moi ! — s’écria le marchand frappé de stupeur ; — mais je vous ai donné tout, jusqu’à mon denier dernier !

— Tu as remarqué, mon rusé compère, que, malgré ce prétendu abandon de tous tes biens, j’ai continué de t’appeler, pour cause, Bezenecq-le-Riche ; car je suis certain, moi, que tu mérites encore ce surnom.

— Sur le salut de mon âme, il ne me reste rien !

— Alors, les trois épreuves ne t’arracheront aucun aveu contraire à ce que tu dis.

— Quelles épreuves ?

— Celles du carcan, du croc et du gril... Oui, si tu n’abandonnes pas les autres biens que tu nous caches, tu subiras ces trois épreuves sous les yeux de ta fille. — En disant ces derniers mots, Garin-Mange-Vilain éleva tellement la voix sans doute à dessein, qu’Isoline entendant ces menaces, se faisant jour à travers les bourreaux, se jeta