Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/33

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changer la maison du Seigneur en taverne et en mauvais lieu ; de voir des vauriens, des nonnes, des filles de joie, y chanter, y danser, et faire pis encore, sans compter les joueurs de dés, les marchands et les usuriers qui viennent larronner ou conclure dans l’église leurs mauvais trafics, en buvant un coup de vin sur le coin de l’autel que l’on prendrait pour le comptoir d’un tavernier (I).

— Mon Dieu ! mon Dieu ! mon pauvre homme, ce serait bien pis ailleurs ; — reprit Marthe en soupirant, affectée de l’endurcissement de son mari ; — n’est-ce point partout l’usage ? depuis que le monde est monde, cela se passe ainsi.

— C’est l’usage, soit ; aussi je te l’ai dit, chère femme, ne disputons point là-dessus ; mais Anne ne revient pas ? — Et s’approchant de l’escalier, le vieillard appela deux fois sa fille.

— Me voici, mon père, — répondit la douce voix de la blonde enfant ; et elle descendit portant sur son bras les casaques de son père et de son frère. Bientôt le vieux nautonnier, son fils et Rustique-le-Gai eurent terminé les préparatifs de leur départ, aidés par Anne qui acheva de remplir un panier de diverses provisions, après quoi elle embrassa tendrement son père, qui lui dit, ainsi qu’à Marthe :

— Adieu, chère femme, adieu, chère fille, à demain, et surtout cette nuit fermez bien la porte de la maison, de crainte des pénitents rôdeurs ; il n’est pire espèce de larrons ; comme l’église leur défend le travail, ils volent pour vivre.

— Le Seigneur veillera sur nous, — répondit Marthe en baissant les yeux devant le regard de son mari, — nous prierons pour ton heureux voyage.

— Adieu, bonne mère, — reprit à son tour Guyrion, — je regrette de t’avoir alarmée ; mon père a eu raison, j’ai été trop prompt à jouer du croc contre les lances franques.

— Grâce à Dieu, mon fils, — reprit Marthe avec onction, — le bon père Fultrade s’est rencontré là, comme un ange du ciel descendu des cieux !