Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/77

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telle ; lorsque Lodbrog le berserke, en proie à son vertige furieux, se fut précipité dans la crypte du mausolée de Clovis, où la guerrière se trouvait gisante, elle eût été mise en pièces par le géant si, trébuchant à la première marche de l’escalier du caveau, il n’y eût roulé expirant, perdant son sang par les innombrables blessures auxquelles il était demeuré insensible durant sa frénésie, mais qui causèrent enfin sa mort.

Rolf, Roi de la mer et chef suprême des pirates North-mans, était déjà vieux ; sa barbe et ses cheveux, d’un blond jaune, grisonnaient, de nombreuses cicatrices sillonnaient son visage, d’un rouge de brique, tanné, cuivré par le soleil et l’air marin ; blessé quelques années auparavant d’un coup de sabre qui lui avait crevé l’œil gauche et coupé le nez jusqu’à l’os, le vieux pirate avait une figure hideuse : son œil unique brillait comme un charbon ardent sous son épais sourcil, ses grosses lèvres à demi cachées par sa rude moustache et sa barbe hérissée, donnaient à sa large bouche une expression railleuse et sensuelle ; de taille moyenne et d’une carrure athlétique, Rolf avait de si longs bras que debout, ses doigts atteignaient à ses genoux ; il portait, ainsi que ses champions, une armure écaillée de fer ; mais pour festoyer et s’ébattre plus à l’aise, il s’était débarrassé de sa cuirasse, n’ayant gardé qu’un justaucorps de peau de renne, çà et là noirci par les frottements de l’armure, et qui s’entr’ouvrant parfois laissait voir sa chemise taillée dans quelque nappe d’autel ; sous ce lin apparaissait une poitrine velue comme celle des ours de la mer du Nord. Le pirate terminait son repas ; des chanoines et des officiers dignitaires de l’abbé, blêmes d’épouvante, servaient Rolf agenouillés ; il ne leur permettait pas de marcher autrement qu’à genoux pour apporter ou emporter les plats et les vases à boire ; si l’allure de ces servants était trop lente, des pirates ou des serfs de l’abbaye, riant aux éclats et rendant en ce jour ce qu’ils avaient reçu tant de fois, hâtaient à coups de bâton la marche des saints hommes de Dieu.