Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/85

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sa tête de cuivre et son col écaillé s’élançaient de la proue, qui figurait son large poitrail orné de deux ailes repliées vers l’arrière, façonné de manière à imiter les replis de la queue du monstre marin ; au milieu de l’immense voile carrée de ce drekar teinte en rouge, on voyait encore un dragon doré (S) ; à la poupe s’élevait le kastali, petite forteresse demi-circulaire construite de fortes poutres équarries cerclées de larges bandes de fer, et percée de meurtrières à travers lesquelles les archers placés à l’intérieur, pouvaient tirer à couvert lors des abordages ; une large plate-forme pouvant contenir vingt guerriers couronnait le retranchement et avait pour parapet une ceinture de boucliers de fer.

Le vieux Rolf se tenait debout sur son kastali, l’air farouche, inspiré ; ses armes, ses mains ruisselaient de sang ; à ses pieds, étendu dans une mare sanglante, pantelait encore le cadavre d’un cheval blanc (T), enlevé des écuries de l’abbaye de Saint-Denis, puis garrotté et hissé sur la plate-forme du drekar, à l’aide de poulies et de cordages, pour être solennellement égorgé en l’honneur d’Odin et des dieux du Nord ; Rolf espérait ainsi rendre ces divinités favorables à ses armes. Le sanglant sacrifice achevé, le vieux pirate, qui du haut de son kastali dominait tous les bâtiments de sa flotte, prit son cor d’ivoire en sonna trois fois, donnant à chacun des sons un ton particulier ; chaque chef de navire embouchant à son tour sa trompe répéta le signal de Rolf ; ce signal parvint ainsi de proche en proche d’un bout à l’autre de la flotte ; les chants de guerre des pirates cessèrent, et bientôt accomplissant l’ordre donné par le retentissement du cor de leurs chefs, les North-mans orientèrent leurs voiles de façon à ce que leurs bateaux se maintinrent immobiles et debout au courant du fleuve qu’ils remontaient ; les holkers de Gaëlo et de la belle Shigne, servant d’éclaireurs au drekar de Rolf, naviguaient à peu de distance de lui ; le vieux pirate les héla, leur ordonnant de se rendre à son bord ; ils obéirent en passant sur une planche étroite garnie de crampons de fer, jetée de chaque holker et accrochée aux flancs du