Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/159

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— Par le diable ! j’ai mangé… des yeux le jambon que tu dévorais à belles dents…

— Eh bien, désaltère-toi en me regardant boire !

— Sacrilége ! refuser du vin à un chapelain qui a soif !… Tiens, j’aimerais mieux pour ton salut te voir encore une fois voyager tout un jour dans un chariot traîné par l’abbé de Saint-Patrice et son chapitre !

— Peuh ! — fit Griffith ; — il y avait des relais.

— C’est vrai, plusieurs relais de douze moines chacun accompagnaient notre troupe ; et on les attelait à tour de rôle : c’est une excuse en ta faveur. Mais notre dernier couvent de femmes, hein ?… ce monastère d’Ursulines ?

— Quoi, coquin ! n’avais-tu pas béni en bloc le mariage de nos hommes avec les nonnains en disant :

Crescite et multiplicate. C’est tout ce que je sais de latin, et ce peu vaut beaucoup… Mais l’abbesse, double fils de Satan ! qu’as-tu fait de la vénérable abbesse ?

— Par saint Georges ! je n’en ai rien fait ; elle n’était bonne à rien. On l’a pendue par les pieds, la tête en bas, et au-dessus d’un brasier, afin de lui faire avouer la cachette de ses reliquaires d’or et de vermeil.

— Et les reliques contenues dans ces reliquaires sacrés, à quel usage t’ont-elles servi, terrible païen ?… Tu as osé faire un vase à boire du crâne de sainte Brigitte ! Voilà un fieffé sacrilége ; et pourtant il te sera plus léger au jour du jugement que ton refus de me désaltérer !

— Allons, bois, chapelain, et bois à mes amours.

Le chapelain, après avoir longuement collé ses lèvres à l’orifice de l’outre que lui remit le capitaine, les en détacha un moment, moins pour répondre à son digne compagnon que pour reprendre haleine, et lui dit en soufflant : — Quels amours ?

Et il recommença de boire.