Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/164

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À deux lieues environ du village de Cramoisy se trouve, au plus profond de la forêt seigneuriale de Nointel, un immense souterrain, taillé dans un tuf calcaire, offrant peu de résistance au pic et à la pioche ; ce souterrain date de ces temps lointains et désastreux, où les pirates north-mans, remontant le cours de la Somme, de la Seine et de l’Oise, ravageaient les contrées arrosées par ces rivières. Ceux des serfs que leur misère atroce ne poussait pas à se joindre aux North-mans, et qui voulaient échapper à leurs pilleries, à leurs massacres, avaient creusé ce lieu de refuge ; et emportant le peu qu’ils possédaient, emmenant leur bétail, ils restaient cachés dans ces retraites jusqu’à ce que les pirates eussent quitté le pays. De semblables abris ont été, dans ces temps-ci, pratiqués sur presque tous les points de la Gaule par les vassaux de la noblesse, afin d’échapper au brigandage des Anglais, des routiers, des soudoyers qui dévastent les provinces, et aussi afin d’échapper aux exactions des seigneurs, devenues intolérables depuis que Jacques Bonhomme est forcé de payer la rançon de ses seigneurs et maîtres faits prisonniers à la bataille de Poitiers. Les paysans, dans d’autres parties de la Gaule, se retirent, eux et leur famille, sur des radeaux qu’ils ancrent au milieu des rivières, et qui, souvent submergés ou emportés par les grandes eaux, s’engloutissent avec les pauvres gens dont ils sont encombrés ; jamais la désolation, jamais l’épouvante, n’ont à ce point régné sur cette malheureuse terre ; la plupart des hameaux sont abandonnés, les champs restent incultes ; l’on prévoit des disettes comparables à celles qui ont dépeuplé la Gaule avant et après l’an 1000.

Le souterrain où se sont réfugiés les habitants de Cramoisy et de quelques autres villages de la seigneurie de Nointel se compose d’une longue voûte à l’extrémité de laquelle sont pratiqués, de droite et de gauche, deux autres vastes couloirs, où s’entassent les bestiaux, bœufs, vaches, chèvres et moutons ; un puits destiné à les abreuver est creusé au milieu de la galerie principale. Au-dessus de ce puits, une ouverture pratiquée dans la voûte et à demi masquée par de