Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la tête de ses Navarrais ; nous tentons un suprême effort, nous exaltons le peuple, nous combattons le régent ; si nous sommes victorieux, nous soulevons contre les Anglais les paysans échappés aux vengeances de la noblesse. L’étranger est chassé du sol ; la Gaule, délivrée de ses ennemis du dedans et du dehors, délègue à Charles de Navarre la souveraineté, sous le contrôle des Assemblées nationales ; et nos provinces forment une puissante fédération dont Paris est le centre !

— Ce résultat serait encore admirable ; mais Charles-le-Mauvais, une fois couronné, tiendrait-il sa promesse ? se résignerait-il à subir la loi des États-généraux ?

— Il eût subi toutes nos conditions avant l’anéantissement de la Jacquerie, contre-poids suffisant à ses bandes de soudoyers. Mais il te l’a dit à Clermont, et il disait vrai : la force des choses l’obligera de maintenir, en manière de don de joyeux avénement, en montant sur un trône usurpé, bon nombre de réformes ; ainsi, une partie de nos conquêtes sur la royauté demeureraient acquises à l’avenir. Ce n’est pas tout. Le peuple, encore dans l’ignorance, est routinier : depuis des siècles, accoutumé à être gouverné despotiquement par un prince de sang royal, il ne peut arriver sans transition à un gouvernement libre, régi simplement par des magistrats électifs, ainsi que l’étaient les villes de communes lors de leur affranchissement ; mais peu à peu l’expérience viendra ; n’est-ce point déjà un pas immense dans cette voie que le renversement d’une dynastie ? que l’intronisation d’un nouveau roi par la seule volonté des citoyens ?… Le divin prestige de la royauté reçoit ainsi un coup mortel. Pouvoir choisir un souverain implique le droit de le déposer ou de se passer de lui. Enfin n’oublions pas ceci, toujours dans l’hypothèse du succès de Charles-le-Mauvais : la Gaule sera délivrée des Anglais ; puis, quoi qu’il arrive, la noblesse, malgré ses effroyables représailles contre les représailles des Jacques, gardera le souvenir de cette insurrection formidable et, forcément, adoucira le sort de ses serfs, sachant que Jacques Bonhomme, de nouveau poussé à bout, peut prendre encore la faux, la fourche et la torche.