Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/27

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monde Mazurec… Elle mendiait son pain ; elle a fait pitié au meunier du moulin Gaillon, notre voisin. Sa femme, depuis deux mois à peine, était morte en donnant naissance à un petit garçon. Gervaise, c’était le nom de la mère de Mazurec.

— Gervaise ? — dit Mahiet en paraissant interroger en vain ses souvenirs, — elle s’appelait Gervaise ?

— Oui, messire avocat, elle parut au meunier si avenante, si douce qu’il se dit : « Elle doit accoucher bientôt ; elle sera, si elle veut, la nourrice de mon enfant et du sien. » Il en a été ainsi. Gervaise a élevé les deux garçonnets ; elle était si laborieuse et d’un si bon caractère que le meunier l’a toujours gardée pour servante, puis il est arrivé un grand malheur. Le comte de Beaumont a déclaré la guerre au sire de Nointel. Il y a de cela cinq ans. Le meunier a été forcé de suivre son seigneur à la guerre. Pendant ce temps-là, les gens de Beaumont sont venus jusqu’ici, mettant le pays à feu et à sac ; ils ont incendié le moulin où était restée Gervaise avec les deux enfants. Elle a péri dans les flammes ainsi que le fils du meunier ; seul, par miracle, Mazurec a échappé à la mort, et, par compassion, nous l’avons recueilli, moi et mon mari.

— Vous êtes une digne femme, notre hôtesse. Il faudra, pardieu, que je fasse rendre gorge à ce Simon-le-Hérissé.

— Ne me louangez pas trop, messire avocat ; le cœur le plus dur se serait intéressé à Mazurec. Ce pauvre enfant était la plus douce, la meilleure créature qu’il y ait au monde… aussi l’avait-on surnommé Mazurec-l’Agnelet.

— Et il tenait ce que son nom promettait ?

— C’était un agneau, vous dis-je… Pendant toute la nuit, il pleurait sa mère et son frère de lait ; durant le jour, il nous aidait, selon ses forces, dans nos travaux. La guerre terminée, notre voisin le meunier ne revint pas ; il avait été tué. Le sire de Nointel fit rebâtir le moulin dévasté. Dieu sait les taxes qu’il nous imposa, à nous, ses vassaux, pour s’indemniser des frais de sa campagne contre le seigneur de