Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/44

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tentissent, les barrières s’ouvrent aux deux extrémités du champ clos, et chacune d’elles donne passage à un quadrille de chevaliers armés de toutes pièces, visières baissées, et seulement reconnaissables aux emblèmes ou à la couleur de leur bouclier et des banderoles de leur lance. Ces deux quadrilles, montés sur des chevaux bardés de fer, restent pendant un moment immobiles comme des statues équestres aux deux confins de la lice. Les lances de ces preux couards, longues de six pieds et dégarnies de fer, sont, comme on dit, courtoises ; leur atteinte, aucunement dangereuse, ne peut que renverser de leurs montures les jouteurs mauvais écuyers. Le sire de Nointel consulte du regard la belle Gloriande. Elle fait d’un air majestueux un signe avec son mouchoir brodé. Aussitôt son chevalier d’honneur de pousser par trois fois le cri consacré : — Laissez-les aller ! laissez-les aller ! laissez-les aller !

Les deux quadrilles s’ébranlent, mettent leurs chevaux au galop, leurs lances en arrêt et arrivent rapidement au milieu de la lice, où ils se heurtent, cavaliers et chevaux, avec un incroyable tintamarre de chaudronnerie. Dans le choc, la plupart des lances volent en éclats et les jouteurs désarçonnés se déclarent vaincus, leur armure et leur cheval appartiennent de droit au vainqueur, car ces tournois sont un jeu de hasard comme celui des dés. Bon nombre de tournoyeurs renommés, plus avides de florins que d’une gloire puérile, tirent grand profit de leur adresse dans ces joutes ridicules, les adversaires qu’ils ont vaincus rachetant presque toujours leurs armes et leurs chevaux moyennant une rançon considérable. À un signal du sire de Nointel, une trêve de quelques instants succède au désarçonnement de deux des des chevaliers qui ont roulé sur l’épaisse couche de sable dont le sol est prudemment couvert. Rien de plus piteux, de plus grotesque que la mine de ces preux désarçonnés. Leurs varlets les relèvent presque tout d’une pièce dans l’épaisse carapace de fer qui gêne leurs mouvements, et, les jambes raides, écartées, ils regagnent les barrières ruisselants de sueur, car ces nobles tournoyeurs portent sous leur ar-