Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/49

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pieds de longueur (selon l’ordonnance), choisi et fraîchement coupé par l’avocat dans un taillis voisin, parce que vert le cormier est très-pesant et se brise difficilement. L’appelé, ainsi que l’appelant, dans ce duel judiciaire, devait faire le tour de la lice avant le combat. Le serf accomplit cette formalité accompagné de ses deux parrains.

— Mon brave garçon, — disait l’avocat à Mazurec, — n’oublie pas mes conseils et tu auras chance de mettre à mal ton noble larron, quoiqu’il soit à cheval et armé de toutes pièces.

— J’aime autant mourir, — répondit le serf avec accablement et continuant de marcher entre ses deux parrains, la tête baissée, le regard fixe. — Ce matin, quand j’ai revu Aveline, ç’a a été pour moi comme un coup de couteau en plein cœur, — ajouta-t-il en sanglotant. — Ah ! je suis un homme perdu !

— Ventre Dieu ! pas de faiblesse, — s’écria Mahiet, alarmé de l’abattement de son client, — où est donc ton courage ? Ce matin, d’agnelet tu étais devenu loup.

— Vivre maintenant avec ma pauvre femme, serait pour moi un supplice de tous les jours, — murmura le serf, — j’aime mieux que le chevalier me tue tout de suite.

En parlant ainsi, Mazurec avait parcouru la moitié du champ clos accompagné de ses deux parrains. Ceux-ci, de plus en plus effrayés du découragement de ce malheureux, passaient en ce moment avec lui au pied de l’amphithéâtre où siégeaient la noblesse du pays et la belle Gloriande. Adam-le-Diable, jetant un coup d’œil expressif à l’avocat, poussa du coude Mazurec et lui dit tout bas : — Regarde donc la fiancée de notre sire… Jarni ! est-elle belle ! Ça va-t-il faire un joli mariage ! Hein ! vont-ils être heureux, ces deux amoureux ! — À ces mots qui tombaient comme du plomb fondu sur la plaie saignante de son cœur, le vassal tressaillit convulsivement. — Regarde-la donc, cette belle damoiselle, — poursuivit Adam-le-Diable, — vois comme elle est joyeuse sous ses riches atours ! Entends-tu comme elle rit ?… Va, pour sûr, elle rit de toi et de ta femme qui, cette nuit, a