Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/5

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lui chauffait les pieds, on n’y plaignait ni le fer, ni le feu… (Michelet, Hist. de France, t. III, p. 393…) Ruiné par son seigneur, le paysan n’était pas quitte ; ce fut le caractère atroce de la guerre des Anglais. Pendant qu’ils rançonnaient le royaume en gros, ils le pillaient en détail ; entre autres, le capitaine d’une bande d’Anglais nommé Griffith, désolait le pays entre la Seine et la Loire. (Ibid., p. 394.)

 » Combien était grande la terreur dans les campagnes ! Les paysans ne dormaient plus ; ceux de la Loire passaient les nuits dans les îles ou dans des bateaux arrêtés au milieu des fleuves ; en Picardie, les populations creusaient la terre et s’y réfugiaient (beaucoup de ces souterrains paraissent avoir été creusés dès l’époque des invasions normandes, ils furent probablement agrandis d’âge en âge (Mém. de l’abbé Lebœuf ; Mém. de l’Académie des Inscript., XXVIII, 179). — C’était dans ces souterrains que l’on pouvait avoir quelque impression des horreurs du temps ; c’étaient de longues allées voûtées, de sept à huit pieds de large, avec un trou dans la voûte et un puits dans le sol, pour avoir à la fois de l’air et de l’eau ; les familles s’y entassaient souvent avec leurs bestiaux à l’approche des Anglais ; les femmes, les enfants y pourrissaient des semaines, des mois, pendant que les hommes allaient timidement au clocher voir si les gens de guerre s’éloignaient de la campagne. (Ibid., 337.) Enfin, le paysan, enragé de faim et de misère, pillé par l’Anglais, rançonné, torturé par la noblesse, força les châteaux, égorgea les nobles ; jamais ceux-ci n’auraient voulu croire à une telle audace… Ils appelaient le paysan Jacques Bonhomme, comme nous appelons Jean-Jean nos conscrits. Comment craindre ces vilains ? C’était un dicton entre les nobles : — Oignez (craignez) vilain, il vous poindra (frappera) ; poignez vilain, il vous oindra. — Les Jacques Bonhomme payèrent à leurs seigneurs un arriéré de plusieurs siècles ; ce fut une vengeance de désespérés, de damnés… Ils avaient pour capitaine l’un des leurs, un rusé paysan nommé Guillaume Collet (ou Caillet) ; aussi les nobles et les grands se déclarèrent-ils tous contre eux sans distinction de parti  ; Charles-le-Mauvais les flatta, invita les principaux chefs et fit main-basse sur eux ; les nobles se rassurèrent, prirent les armes, et se mirent à les tuer et à les brûler dans les campagnes à tort ou à droit, sans s’informer de la part qu’ils avaient prise à la Jacquerie. » (Ibid., p. 400 et 401.)


Écoutons maintenant Sismondi :


« Les barons et les chevaliers que les Anglais avaient faits prisonniers à Poitiers, et qu’ils avaient ensuite relâchés sur parole, étaient revenus sur leurs terres, et ils s’occupaient à extorquer à leurs vassaux l’argent nécessaire à leur rançon… Ils saisissaient les récoltes, les attelages, le bétail des paysans, et lorsque cela ne suffisait pas, ils les soumettaient à des tourments prolongés, pour leur faire révéler l’endroit où ils pouvaient avoir enfoui quelque argent ; tout était pris et envoyé aux Anglais, pour racheter d’eux quelques gentilshommes inutiles à la France ; et comme il n’y avait pas une famille noble qui n’eût un de ses membres prisonnier, il n’y avait pas non plus une seigneurie où ces extorsions ne se pratiquassent. (487, Hist. des Français, vol. X.)… La misère même des paysans était devenue un objet de plaisanterie : — Jacques Bonhomme, disaient les nobles, ne lâche pas son argent si on ne le roue de coups ; bientôt le paysan ne fut plus nommé que Jacques Bonhomme. (488, ibid.)… Les paysans, que les seigneurs et les Anglais pillaient et torturaient, se soulevèrent d’un commun accord le 21 mai 1358, pour se soustraire à la faim, à la misère et au désespoir. L’exemple donné par quelques villages se répandit dans toutes les directions avec la rapidité du feu qui s’étend sur une plaine d’herbes sèches ; ils voulaient se venger des nobles qui, joignant l’insulte à la violence, les nommaient Jacques Bonhomme, vidant leurs greniers, emmenant leur bétail, violant devant eux leurs femmes et leurs filles, et les brûlaient ensuite avec un fer chaud pour les forcer à donner de l’argent. Les insurgés, que l’on nomma les Jacques (l’insurrection, Jacquerie), se jetèrent avec fureur sur les châteaux ; armés seulement de fourches, de faux et de bâtons, ils forcèrent l’entrée de ces manoirs qui les avaient fait si longtemps trembler, ils y mirent le feu, et ils soumirent à des tortures effroyables les chevaliers qu’ils firent prisonniers, avec leurs femmes et leurs enfants. Les gentilshommes qui ne périrent pas dans cette première entreprise ne tardèrent pas à prendre leur revanche, ils avaient pour eux l’avantage des armes et l’habitude de la guerre. La lutte ne fut pas longue… Les bourgeois de Meaux avaient été de leur