Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/98

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tissant les riches étoffes dont ils parent leur orgueilleuse fainéantise ; le peuple qui use sa vie, qui voit sa famille souffrir, languir et mourir par suite de privations incessantes, afin de payer l’impôt que les rois et leurs favoris dissipent en prodigalités ruineuses. Par Jupiter ! ne faut-il pas que le populaire soit bien patient, bien clément ou bien stupide pour se résigner à un pareil sort !

Guillaume Caillet, après avoir attentivement écouté l’écolier en attachant sur lui ses yeux perçants, secoua la tête d’un air pensif et reprit :

— Mahiet ne me trompait pas. — Puis, après une pause : — Mais qu’attendent-ils donc, ces Parisiens ? Nous sommes prêts, nous autres, et depuis longtemps !

— Que voulez-vous dire ? — demanda Rufin.

Mais le paysan, retombant dans sa sombre taciturnité, ne répondit rien. Le cortége, en ce moment, défilait ; le cercueil de Jean Baillet, décoré d’une housse magnifique et précédé de hérauts et de sergents royaux, était porté par douze serviteurs du régent richement habillés à ses livrées. Le jeune prince et ses frères, accompagnés des seigneurs de leur cour, suivaient le cercueil. Charles, duc de Normandie et régent des Français comme fils aîné du roi Jean, alors prisonnier des Anglais, avait, ainsi que ses frères et la noblesse française, ignominieusement pris la fuite à la bataille de Poitiers. Ce jouvenceau, qui gouvernait alors la Gaule, atteignait à peine sa vingtième année ; il était frêle et pâle, sa figure maladive cachait, sous un masque benin et timide, un grand fonds d’obstination, de perfidie, de ruse et de méchanceté, vices odieux généralement rares chez les adolescents autres que ceux des races royales. Magnifiquement vêtu de velours vert brodé d’or, coiffé d’un chaperon noir orné d’une chaîne de pierreries et d’une aigrette, le régent, chétif et languissant, marchait à pas lents et s’appuyait sur une canne. À peu de distance de lui s’avançaient les princes ses frères, puis les seigneurs de sa cour ; parmi ceux-ci, le maréchal de Normandie, qui, par ordre du jeune prince,