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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/122

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— Ah ! tu sais mon nom ?

— Pardieu… tu t’appelles…

— Je m’appelle ?…

— Georges…

— Pourquoi pas Jean-Louis ou Jean-Pierre ?

— Pourquoi ?… mon vieux… parce que tu t’appelles Georges… Georges, prince de Montbar.

J’avais prononcé ces derniers mots assez bas, afin d’être entendu de mon maître, mais non des autres buveurs ; aussi, dans sa première stupeur, ne pouvant, ne voulant pas croire à mes paroles, néanmoins me regardant d’un œil hagard et les traits bouleversés, le prince s’écria :

— Qu’as-tu dit ?

— Eh ! pardieu, mon vieux, — repris-je le plus simplement du monde, — je dis que tu t’appelles Georges, prince de Montbar… qu’est-ce qu’il y a d’étonnant à ça ?

— Malheureux ! — s’écria mon maître, et les yeux étincelants de colère, les joues pourpres de honte, il se leva d’un air menaçant.

— Eh bien ! quoi ? mon vieux, te voilà tout sens dessus dessous, parce que je dis que tu es le…

— Te tairas-tu ! — s’écria le prince en regardant autour de lui avec anxiété, dans la crainte que je n’eusse été entendu des autres buveurs ; puis, ayant hâte de quitter cet ignoble lieu, où il se voyait reconnu, mon maître frappa sur la table et cria :

— Garçon…

— Comment ! mon vieux… tu quittes les amis !

— Garçon !… — s’écria le prince en se levant sans me répondre.

— Mon vieux, tu resteras… — dis-je au prince en me levant à mon tour, — car si tu abandonnes comme ça un ami dans la peine… je me jette à ton cou, je m’accroche à toi et je t’appelle par ton nom de prince… aussi haut que tu as appelé le garçon…

Cette menace arrêta et effraya mon maître ; il se rapprocha de la table, me regarda pendant quelques secondes avec une attention courroucée, tâchant sans doute de reconnaître ou de deviner mes traits sous la couche de peinture dont ils étaient couverts ; mais, n’y pouvant parvenir, il me dit en regardant de nouveau autour de lui, avec anxiété :

— Voyons, que veux-tu pour te taire ? misérable ! de l’argent, n’est-ce pas ?

— Je veux m’épancher dans ton cœur, mon pauvre vieux, parler de