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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/6

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Mlle Astarté, de chez Mme la ministre de la justice.

Je saluai Mlle Astarté, dont le nom était si prétentieux ; la physionomie de cette fille me parut impertinente et moqueuse. Astarté avait environ trente-six ans. Elle devait avoir été remarquablement jolie ; ses cheveux étaient beaux et très-noirs, ses dents charmantes, sa taille d’une élégance parfaite ; la plus grande dame n’eût pas été mise avec plus de goût et de simplicité que Mlle Astarté. Elle portait, sur ses cheveux lissés en bandeaux, un charmant bonnet de soirée en tulle garni de petites grappes de fleurs cerises ; sa robe de velours noir était montante, et son pied, cambré et chaussé de satin noir, me rappelait celui de la princesse.

— Nous attendions Mme Gabrielle, la femme de charge du comte Duriveau, — me dit Mlle Juliette, — mais son maître est un si affreux tyran, qu’on ne sait jamais sur quoi compter avec lui.

À ces mots, je me félicitai doublement d’assister à cette soirée.

Le personnel masculin de la société était moins nombreux ; il se réduisait à deux de mes confrères ; Mlle Juliette me les présenta de la sorte.

— Monsieur Benard, homme de confiance de M. Lebouffi, le fameux député ; M. Charles dit Leporello, valet de chambre de M. le baron de Saint-Maurice, le lion des lions, surnommé don Juan.

Il y avait entre les dehors, la mise, la figure de ces deux serviteurs, la même différence qui devait exister entre leurs maîtres. L’homme de confiance de M. Lebouffi, le célèbre député, était un grand homme, de noir vêtu, grave, composé, satisfait de soi, à cheveux gris et rares. Il me rendit mon salut avec une suffisance toute parlementaire.

Leporello (surnom qui me prouvait que l’antichambre n’était pas sans quelque littérature), loin de ressembler du reste au type du valet trembleur de Don Juan, était un jeune et joli garçon, à la figure éveillée, hardie, à la tournure leste, aux manières cavalières ; il portait assez élégamment des habits ayant sans doute appartenu à son maître ; il me parut être la coqueluche de ces dames, et se montrer fort assidu auprès de Mlle Astarté, la reine de la soirée.

— Nous attendions bien encore le beau Fœdor, — me dit Mlle Juliette après cette présentation en forme, — mais il ne faut pas plus compter sur lui que sur Mme Gabrielle, la femme de charge du comte Duriveau.

— Son maître, — dis-je à Juliette, lâchant de me mettre au ton