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Puis nous triâmes soigneusement les rouelles de plomb, où nous trouvâmes en tout quatre louis d’or, que Bamboche mit dans sa poche, en disant :

— C’est une poire pour la soif… Pourvu qu’ils soient bons, encore.

Et, abandonnant le corps inanimé de Lucifer, nous nous mîmes en marche à l’aventure, au milieu de la plus admirable forêt du monde (la forêt de Chantilly), par une belle et douce matinée d’automne.

Après deux ou trois heures de marche, entremêlées de haltes, devant d’énormes buissons de mûriers sauvages, aux gros fruits d’un pourpre noir, sucrés et savoureux, le hasard nous conduisit au bord d’une petite rivière, dont la rive était couverte de plantes aquatiques, au-dessus desquelles bourdonnaient, scintillaient, voletaient des myriades d’insectes de toutes couleurs, entre autres de magnifiques demoiselles aux ailes de gaze, au corselet d’émeraude et aux yeux de rubis.

Nous nous amusâmes à poursuivre ces brillants insectes avec la folle joie de notre âge. À ma grande surprise, Bamboche se montra aussi ardent que moi et Basquine pour cette chasse ; je ne l’aurais jamais cru capable de prendre autant de plaisir à un pareil amusement…

Mon étonnement redoubla en voyant ses traits, ordinairement si contractés, si durs, et empreints d’une apparence de virilité précoce, se détendre peu-à-peu, dépouiller cette expression sarcastique et méchante qui n’était pas de son âge, et exprimer souvent, selon l’heureux succès de sa chasse, une joie naïve, enfantine ; on eût dit que sa perversité hâtive et hors nature com-