Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/261

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avoir impunément dérobé, impunément vendu, quelle joie, quel orgueil, et surtout quelles moqueries du volé !

Nous ne passions presque pas de jour sans ces fiévreuses émotions. Le hasard, — l’imprévu, — ces deux mots résumaient notre vie ; or, j’ai vécu depuis dans des conditions bien diverses, et je ne me souviens pas d’avoir vécu, non plus heureusement, mais plus vite qu’à cette époque aventureuse de mon existence.

Si, en dehors de la fatalité à laquelle nous obéissions, quelque chose pouvait racheter la honte et l’odieux de notre conduite d’alors, c’est que nous agissions avec une sorte d’espièglerie enfantine ; et pour parler le langage de cet âge, c’était peut-être encore moins des vols que des niches, dont nous nous glorifiions ; nous chipions, et le gendarme était pour nous ce que le maître est pour l’écolier révolté.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous étions arrivés proche d’un village peu considérable ; nous l’avions découvert au loin dans la vallée, du haut d’une montée de la grande route, où s’élevait une croix de pierre. Le jour tirait à sa fin ; nous espérions trouver dans cet endroit un gîte pour la nuit, car le froid devenait cuisant ; nous étions au commencement de février.

Passant à travers champs, nous atteignîmes bientôt les dernières maisons de ce village ; l’une d’elles, assez isolée, pauvre et misérable demeure, avait une fenêtre ouverte sur le sentier que nous suivions ; de l’autre côté du sentier s’étendait une genetière épaisse et fourrée.

Bamboche marchait le premier, ensuite Basquine,