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» M. Raymond, homme habile, sentait bien cela, telle était la feuille de rose qui empêchait ce digne Sybarite de se reposer tout-à-fait voluptueusement sur mes succès ; s’il eût été possible de faire paraître à ma place sur l’estrade de la Sorbonne quelque cancre leste, riche, pimpant, joli comme ils le sont presque tous, les malheureux ! le triomphe de M. Raymond eût été complet. Mais c’était quelque chose de grave que cette substitution de personnes ; il ne fallut pas y songer.

» Sur ces entrefaites, et à la fin de l’année scolaire, mon pauvre père tomba malade d’une maladie de langueur. Je ne sais pourquoi ni comment lui vint la déplorable idée de me demander en grâce de le faire jouir de l’aspect de mon triomphe prochain, car on n’en doutait plus ; pour moi, depuis long-temps, composer, c’était remporter le prix, et il s’agissait du prix d’honneur.

» Selon mon père, l’émotion qu’il ressentirait en me voyant marcher dans ma gloire, amènerait sûrement une heureuse révolution dans la maladie dont il était atteint ; cette idée, si déraisonnable qu’elle fût, arriva bientôt chez lui à l’état d’idée fixe, de monomanie ; à mon refus, il pleurait d’une manière si navrante, et il semblait si heureux, je dirais presque si guéri au moindre espoir que je lui donnais quelquefois, vaincu par sa douleur, que, malgré ma terreur d’une ovation publique… je me résignai, je promis…

» À cette promesse, mon père sauta de son lit, dont il n’avait pas bougé depuis deux mois, en s’écriant :

» — Tu me rends la vie, Léonidas.