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rivée de leur voiture qu’ils attendaient, le mari et la femme n’échangèrent pas une parole.

Je ressentais une impression douloureuse à la vue de cette jeune et jolie femme qui, ignorant les graveleux et honteux propos provoqués par sa présence, restait accablée, pensive, sur ce perron changé pour elle en pilori… puis j’éprouvais une sorte de stupeur en songeant que ce qui me paraissait devoir être enveloppé d’un mystère impénétrable, le secret du cœur d’une femme, était aussi facilement pénétré et livré aux lazzis grossiers des antichambres ; je ne pouvais concevoir que l’écho de ces plaisanteries brutales ne vînt jamais jusqu’à l’oreille de la femme, de l’amant ou du mari, et je m’étonnais singulièrement de ce bizarre mélange d’insolente raillerie et de discrétion si profonde…

Soudain, je tressaillis de surprise : un très-beau coupé vert, à livrée verte et orange, venait de s’arrêter au pied du perron ; de cette voiture je vis descendre lestement l’inconnu du cabaret des Trois-Tonneaux. Je pus d’autant mieux m’assurer de son identité que, connaissant probablement la jeune femme blonde, il l’aborda, lui serra la main familièrement, ainsi qu’à son mari, et causa quelques instants avec ces deux personnages.

Si la distinction, la rare beauté de cet inconnu m’avaient déjà frappé, alors que, vêtu d’habits sordides, il venait s’enivrer d’eau-de-vie dans une taverne, cette distinction, cette beauté me semblèrent plus remarquables encore… à cette heure que je le voyais vêtu avec élégance et recherche. Sa physionomie, tandis qu’il parlait à cette pauvre jeune femme blonde, était remplie