Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/204

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rant ; on voulait faire un mauvais parti au petit vicomte et à ses amis. Mais… — dit tout-à-coup le laquais à son camarade, je te raconterai cela une autre fois… voilà mon maître… quand je te reverrai, nous parlerons de la place…

Ce disant, le valet-de-pied du comte Duriveau se dirigea en hâte vers le perron dont je m’approchai aussi, supposant que Robert de Mareuil, mon maître, ne devait pas arriver long-temps après Régina ; je la vis s’arrêter sur le perron, elle donnait le bras à un homme de cinquante ans environ, c’était, je l’appris plus tard, le baron de Noirlieu, son père, d’une taille grêle déjà voûtée ; il avait les cheveux gris, les yeux caves, ardents, les orbites profondes, la maigreur de son visage, le sourire amer et contracté, presque stéréotypé sur ses lèvres, donnaient à ses traits une expression de tristesse maladive presque farouche.

Régina, vêtue avec une simplicité austère, portait une robe noire et un chapeau de crêpe blanc, moins blanc que son pâle visage encadré de cheveux de jais… sa physionomie était d’une gravité glaciale. Le prince de Montbar et le comte Duriveau s’empressaient auprès d’elle ; le comte, souriant, obséquieux, s’adressait tour-à-tour soit au baron qui lui répondait brièvement d’un air distrait, soit à Régina qui me parut l’accueillir avec une extrême froideur. Le prince de Montbar, au contraire, se tenait envers la jeune fille sur une réserve calculée peut-être, car elle me sembla un peu affectée ; néanmoins l’air riant, dégagé, il s’occupait surtout du baron, qui paraissait un peu se départir, à son égard, de sa sombre taciturnité ; deux ou trois fois cependant le prince adressa