Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je n’ai besoin de personne… — dit fièrement la jeune fille, — je sais vouloir… et attendre.

— Et il y a deux ans… crois-tu que Scipion t’ait reconnue ? — lui dis-je.

— Non… pas plus qu’il ne m’a reconnue aujourd’hui, j’en suis certaine… L’instinct du mal et le hasard l’auront guidé… Je vous dis… qu’il y a des fatalités…

Puis, passant sa main amaigrie sur son front, Basquine reprit tendrement :

— Et toi… as-tu aussi beaucoup souffert ? Es-tu heureux à cette heure ?

— Mais j’y songe maintenant — dit Bamboche en m’examinant avec une expression de surprise presque douloureuse, — toi… toi… une livrée !  !…

— En effet… — ajouta tristement Basquine — réduit à cela… toi ?

— Pardieu, c’est tout simple… — s’écria Bamboche avec un accent de raillerie amère — c’est une âme d’or… il n’y a pas de condition assez misérable pour lui… c’est comme toi, Basquine… tu as été admirable pour moi et…

— Oublions cela, — dit la jeune fille en interrompant Bamboche.

— Oui… oublions cela, — reprit-il avec amertume, et il ajouta d’un ton grave dont je fus pénétré :

— Tu l’entends, Martin, et pourtant pour elle j’ai été brutal, méchant… impitoyable…

— Tout cela est passé… — répondit simplement Basquine.