Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/262

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— Basquine n’invente rien, et ne dit même pas tout, — reprit Bamboche. — Ce milord-duc a existé. J’ai connu dans la plus que mauvaise société où je vis, des témoins ou des complices de ses… bizarreries.

— Que veux-tu ? Martin, — reprit Basquine avec son rire sardonique, — on naît tout-puissant par la fortune, et par le rang on est blasé vite et tôt ; il faut alors du nouveau, de l’étrange… je ne vis d’ailleurs, à bien dire, que ce jour-là les créatures qui composaient le sérail du duc, car une fois arrivée au terme de ma destination, ma vie fut la plus isolée et la plus étrange du monde. Au relais suivant miss Turner, mandée auprès du milord-duc, me quitta un instant, revint bientôt, et me fit signe de la suivre. Je quittai la voiture du sérail, et, seule avec miss Turner, je m’installai dans une calèche ordinairement occupée par l’intendant et le secrétaire du duc de Castleby ; mais cette fois ces importants personnages se placèrent comme ils purent, dans d’autres voitures de suite. Dans la première ville où nous passâmes, miss Turner m’acheta de quoi me vêtir convenablement, je voyageai toujours seule avec elle ; on nous servait à part dans les auberges, et je partageais sa chambre. Très-silencieuse, très-réservée, cette jeune femme ne répondait que par monosyllabes à toutes mes questions, et ses réponses, empreintes d’ailleurs d’une sorte de déférence, se bornaient à-peu-près à ceci : — Soyez tranquille, Mademoiselle, Monseigneur vous donnera l’éducation qu’il donnerait à sa fille. — Vous ne savez pas le bonheur que vous avez eu de rencontrer Monseigneur sur votre route. — Il n’est pas de seigneur meilleur, plus généreux.