Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/263

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— Tout ceci est bien étrange, — dis-je à Basquine.

— Plus étrange encore que tu ne peux le penser, Martin ; du reste, lorsque nous fûmes arrivées au château du duc, je m’abandonnai complètement aux douceurs d’un bien-être si nouveau pour moi. La femme de chambre de miss Turner me servait ; la table du duc était d’une délicatesse, d’une somptuosité inouïe, mais nous mangions séparément. Ma santé, appauvrie par les privations, devenait de plus en plus florissante ; miss Turner s’extasiait sur ma beauté croissante, disant qu’en quelques jours je n’étais plus reconnaissable ; j’occupais un appartement, meublé avec une élégance, un luxe, une recherche dont il est difficile de se faire une idée ; tous les jours je montais en voiture avec miss Turner, et nous nous rendions dans un parc réservé, où je pouvais courir et jouer à des jeux de toute espèce. Souvent aussi miss Turner me faisait monter sur un charmant petit cheval, doux et apprivoisé comme un chien ; la fille du plus grand seigneur ne pouvait, je crois, avoir une existence comparable à la mienne.

— Et tu n’avais pas encore vu le milord-duc ? — lui dis-je.

— Non. Je ne lui fus présentée que trois semaines environ après notre arrivée au château, résidence toute royale, j’oubliais de te le dire, et si admirablement située, au milieu d’un des plus beaux sites du Midi de la France, que la température y était, disait-on, aussi douce qu’à Hières ; c’est là que milord-duc passait souvent une partie de l’hiver.

— Mais pourquoi tardait-on ainsi à te présenter à cet homme ? — demandais-je à Basquine.