Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mais cette vengeance que tu poursuivais ? — lui dis-je.

— Cette vengeance ?… — s’écria-t-elle, — pour l’assurer, il me fallait travailler chaque jour à acquérir ces talents, ces avantages, ces séductions qui me seraient un jour des armes terribles,… non contre le milord-duc, cela m’eût été impossible, mais contre toute cette race oisive, stupide, insolente ou infâme, dont le milord-duc personnifiait l’horrible vieillesse… et dont le petit Scipion personnifie l’horrible adolescence !

— Je commence… à te comprendre, Basquine, — dis-je, frappé de l’expression implacable des traits de la jeune fille.

— Ah ! race impitoyable ! — s’écria-t-elle, avec une exaltation menaçante, — ah ! pendant que vous regorgiez du superflu, mon père mourait de douleur, de misère,… et l’on m’achetait, toute enfant, pour quelques pièces d’argent. Ah ! votre exécrable insouciance de notre sort, à nous autres misérables, m’a laissé flétrir à cet âge sacré où les plus criminelles ont du moins été pures ! Ah ! lorsque je vous ai tendu une main innocente encore, quoique souillée,… vous m’avez repoussée !… Ah ! grands seigneurs blasés, vous avez fait de moi… le jouet et la victime de vos sanglantes débauches, prenant plaisir, par une ironie infernale, à éclairer d’autant plus mon intelligence, que vous me dégradiez plus affreusement comme créature… Ah ! vous m’avez abîmée d’outrages, d’opprobres ! de tortures ! Ah ! la contagion de votre effrayante perversité m’a corrompue jusqu’à la moelle, et je n’ai pas douze ans !… Mais attendez… attendez… un jour j’aurai seize ans,… l’âge de la