Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/281

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candeur et de l’innocence,… l’âge où la beauté brille de tout son éclat, l’âge qui met en relief les séductions, les talents que j’ai acquis et que j’acquerrai encore ; attendez, attendez, et alors forte des vices que vous m’avez donnés, forte de la haine impitoyable que vous m’avez inspirée, forte de mon cœur mort avant l’âge où il s’éveille… forte de mes sens éteints avant l’âge où ils s’allument, forte surtout du mépris, de l’horreur que votre race soulève en moi… attendez… et vous verrez de quelles passions éperdues, folles, criminelles je saurai vous enivrer ! Oh ! vous m’aimerez… un jour !… Et je serai vengée !…

L’attitude, le geste, la physionomie de Basquine pendant qu’elle prononça cette imprécation, furent empreints d’une résolution si formidable, qu’involontairement je m’écriai :

— Basquine… tu m’épouvantes…

Basquine passa la main sur son front couvert d’une rougeur brûlante, garda un moment le silence, et me dit :

— Pardon, mon bon Martin, de me laisser aller à ces entraînements… mais avec toi et Bamboche, je ne cherche ni à me dissimuler ni à me contraindre… Je poursuis mon récit. Il me reste d’ailleurs peu de chose à vous dire. Un événement imprévu me fit quitter la maison du milord-duc… Il mourut subitement d’apoplexie… Son neveu, son unique héritier, arriva bientôt par la diligence pour recueillir cette immense succession. Ce neveu, déjà fort riche, mais aussi avare, aussi rigoriste que son oncle avait été prodigue et débauché, chassa du château toutes les femmes que