Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— L’homme-poisson a échappé au court-bouillon, m’a dit la Levrasse ; mais ce gredin de Poireau, le pitre, a été asphyxié. C’est toujours ça, — reprit Bamboche, et il continua : — La Levrasse était déjà établi marchand de jouets d’enfants passage Bourg-l’Abbé ; mais il faisait, disait-il, par délassement la banque… vieux banquiste ! Il s’y connaît. Allons, — lui dis-je, — je te pardonne ; tu n’as eu qu’une joue de rissolée, c’est mesquin, n’y pensons plus. — Ah ! tu me pardonnes ? À la bonne heure, — me répondit la Levrasse, — et pour te prouver que je suis sensible à ta clémence, je t’invite à dîner demain, nous causerons. — Je n’eus garde de manquer au rendez-vous ; le vieux brigand m’étudia, m’observa, me fit jaser, et au dessert, entre la poire et le fromage, il me dit : — Écoute, je fais la banque, et, comme banquier, j’achète souvent, pour un morceau de pain, des créances très-légalement exigibles, mais difficiles à recouvrer, tantôt parce que les créanciers ont filé en pays étranger, tantôt parce que les compères trouvent moyen de mettre leurs biens à couvert… Jusqu’ici, faute d’un associé intelligent, je n’ai pas tiré tout le parti possible de ces affaires, il y aurait pourtant de l’or en barres à gagner. Tiens, un exemple entre plusieurs : J’ai acheté quinze mille francs une créance de soixante-douze mille et tant de livres sur un M. Rondeau ; il a de quoi payer largement ; il possède six à sept cent mille francs, réalisés, avec lesquels il a filé en Angleterre, où le gaillard mène grande et joyeuse vie ; légalement je ne peux rien, car, dans ce cas, il n’y a pas d’extradition possible, mais, en employant la contrainte morale… — Comment ? — Sup-