Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/290

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Bertrand… l’incomparable Bertrand, à la salle duquel je me présentai comme fils de famille, avait fait de moi, non pas un tireur élégant, habile, correct et foudroyant comme il en fait tant, ma nature sauvage ne s’y prêtait pas, mais il m’avait donné, comme gaucher, un jeu horriblement dangereux et hérissé. Cette réputation-là, pratiquement établie par un duel où j’avais crevé le ventre d’un créancier révolté, qui passait pour gros mangeur d’hommes, m’avait aidé singulièrement dans mes recouvrements pour la Levrasse… mais enfin son sac à créances s’était vidé ; mes petits étudiants et leurs amis s’étaient tous battus les uns contre les autres… On m’avait mis à la porte de mon hôtel, j’étais pendu au croc du diable et prêt… ma foi… à faire cent fois pis que je n’avais fait, lorsque je rencontre le cul-de-jatte, le Mentor de mon jeune âge. Le digne homme s’était rangé ; il mitonnait alors une affaire de contrebande, cigares, étoffes, liquides, le diable et son train ; je connaissais pas mal de monde, plus de mauvais que de bon, je me charge de placer sa contrebande chez des jeunes gens et chez des filles, moyennant courtage. Je vivotais, demeurant au siège de notre société, impasse du Renard, mais la mèche contrebandiste est éventée… Il n’y avait pas de preuves contre moi, je file… Je ruminais un mauvais coup, lorsqu’une idée me vient : je suis vigoureux, la nature m’a doué de cinq pieds sept pouces — me dis-je, — je vais me vendre comme remplaçant militaire. Une fois acheté, je joue le prix de ma vente. Si je gagne, je me remplace moi-même ; si je perds,… je me fais soldat, et je n’en ai pas pour deux mois sans être fusillé comme insub-